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Publié le 05 Nov 2010

Référé précontractuel: comment un requérant peut être lésé par l’admission irrégulière d’une candidature à tous les stades de la procédure ?

Une récente ordonnance du juge du référé précontractuel du Tribunal administratif de Grenoble du 5 novembre 2010 vient préciser les conditions d’accès à la commande publique des entreprises nouvellement créés et donne une illustration inédite de la jurisprudence « SMIRGEOMES » en admettant qu’un candidat évincé puisse être lésé par l’admission irrégulière d’une candidature et cela, à tous les stades de la procédure.

Une nouvelle illustration de la jurisprudence « Smirgeomes » : Comment se prévaloir d’une lésion à tous les stades de la procédure.

L’office du Juge du référé précontractuel tel qu’il ressort de l’arrêt SMIRGEOMES se caractérise par une atténuation du contrôle purement objectif auparavant opéré sur les vices allégués (CE 3 octobre 2008, SMIRGEOMES, Req.n°305420). Le Conseil d’Etat exige désormais que l’irrégularité soit susceptible d’avoir lésé ou risque de léser l’entreprise, fût-ce de façon indirecte en avantageant une entreprise concurrente. La sanction n’est plus mécanique et l’annulation de la procédure n’est plus automatique. Il s’agit désormais de ne plus permettre à un requérant d’invoquer un manquement qui est insusceptible de le léser, compte tenu de la portée de ce manquement, mais aussi du moment où il a été commis. En d’autres termes, toute irrégularité ne pourra plus être soulevée à n’importe quel moment de la procédure. C’est ainsi qu’un concurrent évincé dont la candidature a été admise n’est plus recevable à critiquer les conditions d’admission des candidatures (CE 21 mai 2010, Commune de Bordeaux, Req.n°334845). En sens inverse, l’entreprise dont la candidature a été écartée pour un motif quelconque n’est pas susceptible d’être lésée par un manquement qui se situe à un stade ultérieur de la procédure. De la même manière, un concurrent évincé n’est pas susceptible d’avoir été lésé par l’admission irrégulière d’une offre si celle-ci n’est finalement pas retenue (CE 24 octobre 2008, Syndicat intercommunal d’eau et d’assainissement de Mayotte, Req.n°300034).

L’intérêt de l’ordonnance commentée se situe à un stade intermédiaire. Celui où l’on peut admettre qu’une entreprise est susceptible d’être lésée par l’admission irrégulière d’une candidature.

Rappelons que dans le cadre de son contrôle de pleine juridiction, le juge du référé précontractuel est en effet compétent pour vérifier les motifs de l’exclusion d’un candidat au regard des exigences des cahiers des charges (CE 10 novembre 2010, Ministre de la Défense, req.n°341133, CE 28 avril 2006, SABTP, req.n°286443). Mais l’on avait semble t’il oublié qu’il est également compétent pour vérifier les motifs d’admission d’un candidat, ce qui ouvre de bien belles perspectives pour les les candidats évincés contre leurs concurrents où l’attributaire du marché. Cependant, une fois l’irrégularité constatée, encore faut-il pour que le moyen soit opérant que l’entreprise requérante soit capable de démontrer que cette admission irrégulière est susceptible de l’avoir lésé y compris au stade du jugement des offres (CE 3 octobre 2008, SMIRGEOMES, req.n°305420).

S’agissant de la phase de sélection des candidatures, qu’il s’agisse d’une procédure de passation d’un marché public ou d’une délégation de service public, le juge du référé précontractuel exerce un contrôle à un double niveau. En premier lieu, il vérifie que les conditions fixées par le code des marchés publics ont bien été respectées et qu’elles n’ont pas pour objet ou pour effet de nuire à la mise en concurrence. En second lieu, il va s’assurer que les critères de recevabilité des candidatures qui ont été édictées par le pouvoir adjudicateur ont bien été respectés. Dans ces conclusions sur l’arrêt du 14 décembre 2009, Commune de la Roche sur Yon, req.n°325830, le Rapporteur public Bertrand DACOSTA avait émis une hypothèse non encore tranchée par la jurisprudence et qui selon lui ne manquerait pas de l’être, celle de « l’admission d’une candidature irrégulière qui vicierait certainement la procédure si c’est le candidat en cause qui voit son offre retenue ».

C’est désormais chose faite. Dans son ordonnance en date du 5 novembre 2010, le Juge du référé précontractuel du Tribunal administratif de Grenoble vient en effet de consacrer officiellement cette hypothèse en rappelant que la lésion peut résulter de l’admission irrégulière d’une candidature y compris au stade du jugement des offres : « Considérant […….] qu’en examinant une offre sans que soit établie la recevabilité de la candidature correspondante, le département de l’Isère a commis un manquement à ses obligations de mise en concurrence ; que les éléments du dossier ne permettent pas d’exclure que ce manquement ait été de nature à léser la société requérante classée seulement quatrième sur douze, dès lors que l’issue de la procédure, dans le cas où la candidature du groupement retenu n’aurait pas été déclarée recevable, ne peut être déterminée compte tenu de l’incidence éventuelle de l’élimination du candidat classé premier sur la notation des autres candidats» (TA Grenoble, Ord. 5 novembre 2010, Sté HC Provence Vallée du Rhône, n°1004487).

L’admission « irrégulière » d’une candidature est désormais de nature à fausser le jeu de la concurrence et cela quelque soit le stade de la procédure si le candidat est déclarée attributaire du marché. En effet, le fait de noter une offre qui n’aurait jamais du être examinée par le pouvoir adjudicateur dès lors que sa candidature aurait du être préalablement écartée est de nature à fausser le jeu de la concurrence et l’égalité de traitement entre les candidats. En l’espèce, la société requérante ne critiquait pas les conditions d’admission des candidatures auquel cas, effectivement, la jurisprudence « Smirgeomes » aurait pu s’appliquer pleinement, mais demandait au juge du référé précontractuel de constater le non respect de ces conditions par le pouvoir adjudicateur au profit de l’attributaire du marché, ce qui n’est pas la même chose. Pour toutes ces raisons, le juge des référés a considéré que les moyens développés par l’entreprise requérante étaient parfaitement recevables et opérants.

Accès à la commande publique des entreprises nouvellement créés : attention à la rédaction des cahiers des charges !

Le Conseil d’Etat a déjà eu l’occasion de rappeler qu’en présence d’une candidature irrecevable parce qu’incomplète, le pouvoir adjudicateur a compétence liée et se doit de l’écarter (CE 13 novembre 2002, Commune du Mans, Req.n°245354). Le pouvoir adjudicateur est en effet lié par les dispositions du règlement de la consultation qu’il a adopté. L’une des conséquences de cette règle est qu’elle a pour effet d’entacher d’irrégularité le choix d’une candidature qui ne répond pas aux exigences du règlement de la consultation ou ne fournit pas les pièces requises par celui-ci. Cette obligation découle du principe d’égalité entre les candidats qui lui confère une portée la plus large et dont il appartient au juge du référé précontractuel d’assurer le respect. Dans un arrêt du 10 mai 2006, Sté BRONZO, le Conseil d’Etat a rappelé cette obligation y compris lorsqu’il s’agit d’une entreprise nouvellement crée sauf si les documents de la consultation autorisent la production de ce qu’il appelle des « modes alternatifs de preuve » des capacités techniques, financières et professionnelles, c’est-à-dire par tout autre moyen. Dans ses conclusions sur cette affaire, le Rapporteur public Didier CASAS avait déjà eu l’occasion de préciser le mode d’emploi de cette jurisprudence : « Le règlement de consultation exigeait des candidats qu’ils produisent d’une part le chiffre d’affaires global au cours des trois dernières années et d’autre part des références concernant des prestations similaires en cours d’exécution, ou exécutés, datant de moins de trois ans. La société QUEYRAS ENVIRONNEMENT n’a rien produit de tel et pour cause : en janvier 2005, elle n’avait que quelques mois d’ancienneté à la date de l’avis d’appel d’offres.(….) Nous ne voyons pas, dans ces conditions pourquoi on lui interdirait de permettre à des entreprises nouvelles disposant, grâce à ses ressources bancaires, d’une réelle expérience de se voir attribuer le marché. Mais il faut encore, et ce point est important, qu’en une telle hypothèse, les documents de la consultation le prévoient expressément en ouvrant la possibilité aux entreprises qui, en raison de leur date de création, ne pourraient fournir les éléments demandés, d’établir leurs capacités par d’autres moyens. Si vous acceptiez que ces autres moyens de preuve puissent être apportés alors que l’acheteur public ne l’a pas même évoqué, vous accepteriez par principe que l’exigence prévue par les documents de consultation ne s’impose aux candidats et, d’ailleurs à l’acheteur public au moment de la sélection, que si le candidat est à même de les fournir. Une telle conception irait à notre avis trop loin. Elle reviendrait, en réalité à abroger complètement votre jurisprudence REVILLON. Si vous nous suivez dans cette analyse, il vous suffira de constater que la communauté urbaine n’avait pas envisagé, des modes alternatifs de preuve des capacités techniques et financières des entreprises nouvelles. Il lui était par conséquent impossible de tenir compte des documents produits en ce sens par QUEYRAS ENVIRONNEMENT. La procédure de passation est ainsi irrégulière ».

Deux hypothèses peuvent donc être envisagées:

Hypothèse n°1 :

le règlement de la consultation n’autorise pas des « modes alternatifs de preuve » des capacités techniques, financières et professionnelles. Dans ce cas, le pouvoir adjudicateur est tenu de rejeter toutes les candidatures qui ne contiennent pas les pièces énumérées dans son règlement de la consultation y compris si il s’agit d’une société récemment crée. La seule possibilité pour cette dernière de participer à la procédure sera de candidater soit en groupement soit avec éventuellement avec un sous-traitant.

Hypothèse n°2 :

le règlement de la consultation admet des « modes alternatifs de preuve » des capacités techniques, financières et professionnelles. Dans cette hypothèse, une entreprise nouvelle pourra produire des documents équivalents pour démontrer ses capacités à exécuter le marché où bien se prévaloir des capacités d’autres opérateurs économiques. Néanmoins, même dans ce cas, le pouvoir adjudicateur ne sera pas dispensé de vérifier l’équivalence des justificatifs produits; ou bien, le cas échéant, qu’elle dispose bien des capacités d’un autre opérateur économique tierce via la production d’une attestation écrite. En outre, même dans ce cas, il convient de rester très vigilant sur la rédaction des pièces du marché. En effet, il n’est pas rare de rencontrer des règlements de la consultation qui exigent que « chaque candidat » membre du groupement produisent les documents et les renseignements énumérés. Si tel est le cas, le pouvoir adjudicateur sera tenu par ses propres règles (en réalité par le formalisme de ses propres documents….) et devra de la même façon écarter tous les candidats qui ne remplissent pas, chacun pris individuellement, les conditions strictes de participation prévues par les cahiers des charges. C’est cette solution que le Juge du référé précontractuel du Tribunal administratif de Grenoble va appliquer au dépend du groupement attributaire composé d’une entreprise nouvellement créé qui ne possédait pas toutes les capacités exigées par le règlement de la consultation : « Considérant qu’il n’est pas contesté que la société Geosolid, constituant avec la société Gravier travaux publics le groupement auquel a été attribué le marché, a été créée moins d’un an avant la date de dépôt des candidatures et qu’elle n’a pu dès lors produire les documents exigés de chaque membre d’un groupement à l’appui de la candidature concernant les chiffres d’affaires réalisés au cours des trois derniers exercices, les effectifs moyens et l’importance du personnel d’encadrement pour chacune des trois dernières ou la liste des travaux exécutés au cours des cinq dernières années permettant de justifier de l’exécution au cours de cette période d’au moins trois chantiers répondant à l’objet du marché et d’un montant minimum de 300 000 euros ; qu’il n’est produit aucune justification de ce que la société Geosolid aurait, comme le permettait le règlement de la consultation, produit d’autres éléments pour faire la preuve de ses capacités financières, professionnelles et techniques »
Au final donc, il s’avère que la politique visant à favoriser l’accès des entreprises nouvellement crées à la commande publique dépend en grande partie de la bonne volonté des pouvoirs adjudicateurs puisque au final tout est affaire de rédaction …………

Référence : TA Grenoble Ord. 5 novembre 2010, Sté HC Provence Vallée du Rhône, n°1004487


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