Tél : 01 42 22 09 18
Fax : 01 42 22 10 03
Publié le 13 Mar 2017

Référé contractuel et marché à procédure adaptée : recevabilité oui, annulation non !

CE 23 janvier 2017, Sté Decremps BTP, req.n°401400

La procédure du référé contractuel permet de sanctionner les marchés qui ont été conclus sans respecter les obligations de publicité et de mise en concurrence. L’article L.551-13 du code de justice administrative (référé contractuel administratif) et l’article L 1441-3 du code de procédure civile (référé précontractuel judiciaire) précisent que cette voie de recours n’est possible qu’après la conclusion du contrat.

Dans cette affaire, le Conseil d’Etat considère qu’un candidat évincé qui a engagé un référé précontractuel postérieurement à la signature d’un marché passé selon une procédure adaptée alors que le pouvoir adjudicateur n’a pas rendu publique son intention de conclure le contrat dans les conditions prévues par l’article 40-1 du code des marchés publics et n’a pas observé, avant de le signer, un délai d’au moins onze jours entre la date de publication de l’avis prévu par cet article et la date de conclusion du contrat est recevable à saisir le juge du référé contractuel d’une demande dirigée contre ce marché, quand bien même le pouvoir adjudicateur lui aurait notifié le choix de l’attributaire et aurait respecté un délai avant de signer le contrat.

En revanche, la satisfaction tirée de la recevabilité du référé contractuel est néanmoins de courte durée car sous l’empire de l’ancienne réglementation, l’annulation du contrat ne pouvait être prononcée que dans les hypothèses prévues par les articles L 551-18 et L 551-20 du code de justice administrative (référé contractuel administratif) et les articles 16 et 18 de l’ordonnance n°2009-515 du 7 mai 2009 relative aux procédures de recours applicables aux contrats de la commande publique (référé précontractuel judiciaire).

Or, il n’existait aucune obligation textuelle spécifique en matière de procédure adaptée qui imposait d’informer « immédiatement » les candidats évincés du rejet de leur offre et donc avant la signature du marché.

Partant, la jurisprudence administrative considérait que le requérant ne pouvait pas se prévaloir d’un délai « minimum » avant la signature du contrat et que le référé contractuel était donc voué au rejet sauf hypothèse très rare où comme évoqué un référé précontractuel avait bien été engagé en temps utile mais que l’acheteur public n’avait pas respecté l’obligation de suspendre la signature dès la saisine du tribunal ou ne s’est pas conformé à la décision juridictionnelle rendue sur ce référé (CE 14 février 2017, Sté des Eaux de Marseille, req.n°403614).L’annulation était donc exclue.

Le référé contractuel constituait donc un gadget inutile ouvert malgré tout au requérant au nom du droit à une voie de recours …..inefficace……

La nouvelle réglementation des marchés publics pourrait néanmoins changer la donne: voir sur ce point le dossier spécial consacré à “référé contractuel et marchés à procédure adaptée: l’espoir d’une nouvelle efficacité?”


Conseil d’État
Lecture du lundi 23 janvier 2017

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

 

Vu la procédure suivante :

La société Decremps BTP a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble d’une demande tendant, dans le dernier état de ses écritures, à l’annulation du marché conclu le 23 mai 2016, selon une procédure adaptée, entre le syndicat intercommunal à vocations multiples (SIVOM) Morillon-Samoëns-Sixte Fer à Cheval-Verchaix et le groupement Sassi, Benedetti-Guelpa, Socco pour l’exécution du lot n° 1 des travaux de rénovation du réseau d’eau potable et d’assainissement.

Par une ordonnance n° 1602904 du 27 juin 2016, le juge des référés a rejeté, sur le fondement des articles L. 551-13 et suivants du code de justice administrative, sa demande.

Par un pourvoi sommaire, deux mémoires complémentaires et un mémoire en réplique, enregistrés les 12 et 27 juillet, 23 août et 26 octobre 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la société Decremps BTP demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler cette ordonnance ;

2°) statuant en référé, de faire droit à ses conclusions de première instance ;

3°) de mettre à la charge du SIVOM Morillon-Samoëns-Sixte Fer à Cheval-Verchaix la somme de 3 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

– le code des marchés publics ;

– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de M. Jean Sirinelli, maître des requêtes en service extraordinaire,

– les conclusions de M. Gilles Pellissier, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Delaporte, Briard, avocat de la société Decremps BTP et à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, avocat de la société SIVOM Morillon-Samoëns-Sixt Fer à Cheval-Verchaix.

  1. Considérant qu’aux termes du second alinéa de l’article L. 551-14 du code de justice administrative, le recours en référé contractuel “ n’est pas ouvert au demandeur ayant fait usage du recours prévu à l’article L. 551-1 ou à l’article L. 551-5 dès lors que le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice a respecté la suspension prévue à l’article L. 551-4 ou à l’article L. 551-9 et s’est conformé à la décision juridictionnelle rendue sur ce recours “ ; qu’aux termes du premier alinéa de l’article L. 551-15 du même code, le recours en référé contractuel “ ne peut être exercé ni à l’égard des contrats dont la passation n’est pas soumise à une obligation de publicité préalable lorsque le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice a, avant la conclusion du contrat, rendu publique son intention de le conclure et observé un délai de onze jours après cette publication, ni à l’égard des contrats soumis à publicité préalable auxquels ne s’applique pas l’obligation de communiquer la décision d’attribution aux candidats non retenus lorsque le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice a accompli la même formalité “ ; qu’aux termes de l’article 40-1 du code des marché publics, alors applicable : “ Pour rendre applicables les dispositions du premier alinéa de l’article L. 551-15 du code de justice administrative, le pouvoir adjudicateur publie au Journal officiel de l’Union européenne un avis, conforme au modèle fixé par le règlement de la Commission européenne établissant les formulaires standard pour la publication d’avis en matière de marchés publics, relatif à son intention de conclure un marché ou un accord-cadre dispensé d’obligations de publicité par l’effet des dispositions du présent code ou passé en application des articles 28 ou 30 “ ;
  1. Considérant qu’il ressort des énonciations de l’ordonnance attaquée que le SIVOM Morillon-Samoëns-Sixt Fer à Cheval-Verchaix a lancé en mars 2016 une consultation en vue de la passation, selon une procédure adaptée, d’un marché portant sur l’extension et la rénovation du réseau d’eau et d’assainissement (lot n° 1) et sur la réfection des tranchées réalisées dans le cadre du lot n° 1 (lot n° 2) ; que le 10 mai 2016, le SIVOM a notifié à la société Decremps BTP le rejet de son offre portant sur le lot n° 1 et sa décision d’attribuer ce marché au groupement SBGS ; que le marché a été signé dans la matinée du 23 mai 2016 ; que, dans l’après-midi du même jour, la société Decremps BTP a introduit devant le tribunal administratif de Grenoble un référé précontractuel sur le fondement de l’article L. 551-1 du code de justice administrative ; qu’après avoir été informée de la signature du marché par le mémoire en défense du SIVOM, la société a requalifié son action en référé contractuel le 3 juin 2016 ; que, par l’ordonnance attaquée, le juge des référés a accueilli la fin de non recevoir soulevée par le SIVOM et rejeté comme irrecevable le référé contractuel engagé par la société ;
  1. Considérant qu’il résulte des dispositions citées au point 1 qu’un candidat évincé qui a engagé un référé précontractuel postérieurement à la signature d’un marché passé selon une procédure adaptée alors que le pouvoir adjudicateur n’a pas rendu publique son intention de conclure le contrat dans les conditions prévues par l’article 40-1 du code des marchés publics et n’a pas observé, avant de le signer, un délai d’au moins onze jours entre la date de publication de l’avis prévu par cet article et la date de conclusion du contrat est recevable à saisir le juge du référé contractuel d’une demande dirigée contre ce marché, quand bien même le pouvoir adjudicateur lui aurait notifié le choix de l’attributaire et aurait respecté un délai avant de signer le contrat ;

  1. Considérant qu’il résulte de ce qui précède qu’en jugeant que le référé contractuel de la société Decremps BTP n’était pas recevable au motif que la société avait antérieurement présenté un référé précontractuel et n’avait pas été privée de la possibilité de le faire utilement dès lors que le SIVOM avait choisi, sans y être tenu, de lui notifier le choix du groupement attributaire et avait respecté un délai de treize jours avant de signer le marché, alors qu’il lui appartenait seulement de rechercher si le pouvoir adjudicateur avait rendu publique son intention de conclure le contrat dans les conditions prévues par l’article 40-1 du code des marchés publics, le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble a commis une erreur de droit ; que, par suite, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi, son ordonnance doit être annulée ;
  1. Considérant que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu, en application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l’affaire au titre de la procédure de référé engagée ;
  1. Considérant qu’il résulte de l’instruction que le SIVOM n’a pas rendu publique son intention de conclure le marché litigieux dans les conditions prévues, pour les marchés à procédure adaptée, par l’article 40-1 du code des marchés publics ; que, dans ces conditions, et alors même que le SIVOM a notifié dès le 10 mai 2016 à l’entreprise requérante le choix du groupement attributaire et n’a signé le marché que treize jours plus tard, le référé contractuel formé le 3 juin 2016 est recevable ;
  1. Considérant qu’aux termes de l’article L. 551-18 du code de justice administrative : “ Le juge prononce la nullité du contrat lorsqu’aucune des mesures de publicité requises pour sa passation n’a été prise, ou lorsque a été omise une publication au Journal officiel de l’Union européenne dans le cas où une telle publication est prescrite. / La même annulation est prononcée lorsqu’ont été méconnues les modalités de remise en concurrence prévues pour la passation des contrats fondés sur un accord-cadre ou un système d’acquisition dynamique. / Le juge prononce également la nullité du contrat lorsque celui-ci a été signé avant l’expiration du délai exigé après l’envoi de la décision d’attribution aux opérateurs économiques ayant présenté une candidature ou une offre ou pendant la suspension prévue à l’article L. 551-4 ou à l’article L. 551-9 si, en outre, deux conditions sont remplies : la méconnaissance de ces obligations a privé le demandeur de son droit d’exercer le recours prévu par les articles L. 551-1 et L. 551-5, et les obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles sa passation est soumise ont été méconnues d’une manière affectant les chances de l’auteur du recours d’obtenir le contrat “ ;
  1. Considérant qu’il résulte de ces dispositions que, s’agissant des marchés passés selon une procédure adaptée, qui ne sont pas soumis à l’obligation, pour le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice, de notifier aux opérateurs économiques ayant présenté une offre, avant la signature du contrat, la décision d’attribution, l’annulation d’un tel contrat ne peut en principe résulter que du constat des manquements mentionnés aux deux premiers alinéas de l’article L. 551-18, c’est-à-dire de l’absence des mesures de publicité requises pour sa passation ou de la méconnaissance des modalités de remise en concurrence prévues pour la passation des contrats fondés sur un accord-cadre ou un système d’acquisition dynamique ; que le juge du référé contractuel doit également annuler un marché à procédure adaptée, sur le fondement des dispositions du troisième alinéa de l’article L. 551-18 du code de justice administrative, ou prendre l’une des autres mesures mentionnées à l’article L. 551-20 dans l’hypothèse où, alors qu’un recours en référé précontractuel a été formé, le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice n’a pas respecté la suspension de signature du contrat prévue aux articles L. 551-4 ou L. 551-9 ou ne s’est pas conformé à la décision juridictionnelle rendue sur ce référé ;

  1. Considérant que pour demander l’annulation du contrat portant sur le lot n° 1 du marché conclu le 23 mai 2016 entre le groupement SBGS et le SIVOM, la société Decremps BTP soutient que le syndicat a irrégulièrement apprécié la valeur technique de son offre et méconnu les principes d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures ;
  1. Considérant qu’il résulte de ce qui a été dit au point 8 que les manquements dont se prévaut la société requérante ne relèvent d’aucune des hypothèses dans lesquelles le juge du référé contractuel peut exercer son office ; que, par suite, sa demande tendant à ce que soit prononcée l’annulation du marché ne peut qu’être rejetée ;

  1. Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge du SIVOM Morillon-Samoëns-Sixt Fer à Cheval-Verchaix qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante ; qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la société Decremps BTP la somme de 3 000 euros à verser au SIVOM au titre des mêmes dispositions ;

D E C I D E :

————–

Article 1er : L’ordonnance du 27 juin 2016 du tribunal administratif de Grenoble est annulée.
Article 2 : La demande présentée par la société Decremps BTP devant le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble ainsi que ses conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La société Decremps BTP versera au SIVOM Morillon-Samoëns-Sixt Fer à Cheval-Verchaix une somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Decremps BTP et au syndicat intercommunal à vocations multiples Morillon-Samoëns-Sixte Fer à Cheval-Verchaix.

Résumé : Un candidat évincé qui a engagé un référé précontractuel postérieurement à la signature d’un marché passé selon une procédure adaptée alors que le pouvoir adjudicateur n’a pas rendu publique son intention de conclure le contrat dans les conditions prévues par l’article 40-1 du code des marchés publics et n’a pas observé, avant de le signer, un délai d’au moins onze jours entre la date de publication de l’avis prévu par cet article et la date de conclusion du contrat est recevable à saisir le juge du référé contractuel d’une demande dirigée contre ce marché, quand bien même le pouvoir adjudicateur lui aurait notifié le choix de l’attributaire et aurait respecté un délai avant de signer le contrat.

 

 


© 2022 Cabinet Palmier - Tous droits réservés - Reproduction interdite sans autorisation.
Les informations juridiques, modèles de documents juridiques et mentions légales ne constituent pas des conseils juridiques
Table des matières
Tous droits réservés © Cabinet Palmier - Brault - Associés
Un site réalisé par Webocube