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Publié le 29 Sep 2017

Possibilité d’invoquer pour la première fois en cause d’appel l’enrichissement sans cause

CE 19 JUILLET 2017, société Aéroports de Paris, N°401426

Conformément aux dispositions de l’article L.571-14 et suivants du Code de l’environnement portant sur la participation financière des sociétés d’exploitants d’aéroports aux mesures d’atténuation des nuisances sonores, la société Aéroports de Paris (ADP), a conclu en date du 22 octobre 2009 une convention avec le centre hospitalier intercommunal de Villeneuve Saint-Georges portant sur une aide financière pour la réalisation de travaux d’isolation acoustique de ses bâtiments.

La décision de signer ce contrat avait été annulé par le Tribunal administratif de Paris le 15 décembre 2011. Saisi une seconde fois le Tribunal administratif de Paris, cette fois en tant que juge du contrat, avait prononcé la résolution du contrat de participation financière ainsi que la restitution des sommes dues par le centre hospitalier à la société ADP. Par un arrêt en date du 12 mai 2016, la Cour administrative d’appel de Paris a confirmé la résolution du contrat mais a condamné ADP à réparer la faute qu’elle avait commise en signant cette convention dont elle connaissait le caractère illégal. La société ADP s’est pourvue en cassation devant le Conseil d’Etat.

Règle n°1 : Les conséquences de l’annulation d’un acte détachable d’un contrat

Dans un premier temps, le Conseil d’Etat rappelle que l’annulation d’un acte détachable du contrat CE, 4 août 1905, Martin), n’entraine pas forcément la nullité de ce dernier. Le juge bénéficie depuis les arrêts Commune de Béziers I et II (CE 28 décembre 2009 et CE, 21 mars 2011) de la faculté de décider soit de la poursuite de l’exécution du contrat, sous réserves d’une éventuelle régularisation, soit d’enjoindre les parties d’annuler le contrat, si cette décision ne porte pas une atteinte manifestement excessive à l’intérêt général.

Règle n°2 : Les parties ont la possibilité de continuer l’instance sur un terrain extracontractuel

Le Conseil d’Etat relève par la suite que, « si le juge du contrat, saisi par l’un des cocontractants sur injonction du juge de l’exécution, prononce la résolution du contrat, les parties peuvent poursuivre le litige qui les oppose sur un terrain extra-contractuel ». En d’autres termes, le Conseil d’Etat conclu que lorsque le juge du contrat, saisi d’une action en responsabilité contractuelle, prononce la nullité de ce contrat, les parties peuvent invoquer pour la première fois en cause d’appel un moyen relevant d’une cause juridique nouvelle. En l’espèce, le fait pour ADP d’avoir conclu un contrat illégal.

Règle n°3 : Possibilité d’invoquer pour la première fois en cause d’appel l’enrichissement sans cause du cocontractant

Au cas d’espèce, le centre hospitalier intercommunal avait présenté pour la première fois en appel des conclusions indemnitaires à l’encontre d’ADP.

En l’occurrence, le Conseil d’Etat considère que la Cour d’Appel de Paris n’a commis aucune erreur de droit, en admettant pour la fois en appel les conclusions indemnitaires du centre hospitalier à l’encontre d’ADP. Sur le fond, le Conseil d’Etat a confirmé la condamnation de la société ADP.

Par cet arrêt, le Conseil d’Etat confirme la jurisprudence CitéCable (CE 20 octobre 2000, société Citécable Est, n° 196553) en étendant l’exception de l’irrecevabilité en appel d’un moyen reposant sur une cause juridique nouvelle, sauf à ce que ce moyen soit d’ordre public (CE 20 février 1953, société Intercopie), au cas précis l’enrichissement sans cause du cocontractant.

 

Conseil d’État

N° 408082

7ème – 2ème chambres réunies

Lecture du mercredi 19 juillet 2017

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

 

Vu la procédure suivante :

La société Aéroports de Paris a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la résolution de la convention du 22 octobre 2009 portant attribution d’une aide financière pour la réalisation de travaux d’insonorisation au centre hospitalier intercommunal de Villeneuve-Saint-Georges et de condamner ce dernier à restituer à Aéroports de Paris la somme de 2 581 705,92 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter de la résolution de la convention, correspondant à la part de l’aide qui lui avait été versée les 3 mars et 21 novembre 2011. Par un jugement n° 1308164 du 19 décembre 2013, le tribunal administratif de Paris a prononcé la résolution de la convention du 22 octobre 2009, a condamné le centre hospitalier intercommunal de Villeneuve-Saint-Georges à restituer à la société Aéroports de Paris la somme de 2 581 705,92 euros et a rejeté le surplus des conclusions des parties.

Par un arrêt n° 14PA00758 du 12 mai 2016, la cour administrative d’appel de Paris a, sur appel du centre hospitalier intercommunal de Villeneuve-Saint-Georges, annulé l’article 2 de ce jugement relatif à la condamnation du centre hospitalier à verser une somme de 2 581 705,92 euros à la société Aéroports de Paris, condamné la société Aéroports de Paris à verser au centre hospitalier intercommunal de Villeneuve-Saint-Georges une somme de 5 227 504,16 euros en réparation de la faute commise, sous déduction de la somme de 2 581 705,92 euros correspondant aux versements partiels antérieurement effectués par Aéroports de Paris à moins que cette somme n’ait déjà été restituée et, en dernier lieu, rejeté le surplus des conclusions des parties.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 12 juillet et 11 octobre 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la société Aéroports de Paris demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler cet arrêt ;

2°) réglant l’affaire au fond, de rejeter l’appel du centre hospitalier intercommunal de Villeneuve-Saint-Georges ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier intercommunal de Villeneuve Saint Georges la somme de 6 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu : – le code de l’environnement ;

– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de Mme Charline Nicolas, maître des requêtes,

– les conclusions de M. Olivier Henrard, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Garreau, Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, avocat de la société Aéroports de Paris et à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, avocat du centre hospitalier intercommunal de Villeneuve-Saint-Georges.

Vu la note en délibéré, enregistrée le 30 juin 2017, présentée par le centre hospitalier intercommunal de Villeneuve-Saint-Georges.

  1. Considérant qu’aux termes de l’article L. 571-14 du code de l’environnement, ” Les exploitants des aérodromes mentionnés au I de l’article 1609 quatervicies A du code général des impôts contribuent aux dépenses engagées par les riverains de ces aérodromes pour la mise en oeuvre des dispositions nécessaires à l’atténuation des nuisances sonores (…) ” ; qu’aux termes de l’article L. 571-15 du même code : ” Pour définir les riverains pouvant prétendre à l’aide, est institué, pour chaque aérodrome mentionné au I de l’article 1609 quatervicies A du code général des impôts, un plan de gêne sonore, constatant la gêne réelle subie autour de ces aérodromes, dont les modalités d’établissement et de révision sont définies par décret ” ; qu’aux termes de l’article L. 571-16 du même code : ” Pour chaque aérodrome concerné, il est institué une commission qui est consultée sur le contenu du plan de gêne sonore et sur l’affectation des aides destinées à atténuer les nuisances subies par les riverains (…) ” ; qu’enfin, aux termes de l’article R. 571-90 du même code, dans sa rédaction alors applicable : ” L’exploitant de chaque aérodrome définit un programme pluriannuel d’aide aux riverains, après avis de la commission consultative d’aide aux riverains. (…) Les aides sont attribuées par l’exploitant de l’aérodrome sur avis conforme de la commission consultative d’aide aux riverains. Lors de l’examen des demandes d’aides concernant des locaux ou des établissements situés en limite des zones I, II ou III du plan de gêne sonore, l’avis de la commission porte notamment sur l’appartenance de ceux-ci à ces zones ” ;
  2. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu’en application des textes précités, la société Aéroports de Paris (ADP), a, par une décision du 19 octobre 2009, attribué, après un avis favorable de la commission consultative d’aide aux riverains du 23 juin 2009, une aide financière d’un montant maximum de 5 227 504,16 euros au centre hospitalier intercommunal de Villeneuve-Saint-Georges (CHIV) pour la réalisation de travaux d’isolation acoustique de ses bâtiments ; qu’une convention relative à cet engagement financier a été conclue entre les deux parties le 22 octobre 2009 ; que, sur la demande de la Fédération nationale de l’aviation marchande et du Syndicat des compagnies aériennes autonomes, le tribunal administratif de Paris a, par un jugement du 15 décembre 2011, confirmé par un arrêt de la cour administrative d’appel de Paris du 22 novembre 2012, annulé la décision du 19 octobre 2009 d’Aéroport de Paris ainsi que sa décision de signer la convention, en raison de l’illégalité affectant l’objet de la convention, les bâtiments du CHIV se situant en dehors du périmètre du plan de gêne sonore de l’aéroport de Paris – Orly ; que, par le même jugement, le tribunal administratif de Paris a enjoint à la société ADP de rechercher avec le CHIV la résolution amiable de la convention ou à défaut, de saisir le juge du contrat d’une action tendant à la résolution de celle-ci ; que, saisi par la société ADP en exécution de ce jugement, le tribunal administratif de Paris a, par un jugement du 19 décembre 2013, prononcé la résolution de la convention du 22 octobre 2009 et condamné le CHIV à restituer à la société ADP la somme de 2 581 705,92 euros au titre de l’aide perçue en exécution du contrat ; que la société ADP se pourvoit en cassation contre l’arrêt du 12 mai 2016 par lequel la cour administrative d’appel de Paris, infirmant le jugement du tribunal administratif, l’a condamnée à verser au CHIV une somme de 5 227 504,16 euros, correspondant au montant de la subvention initiale, en réparation de la faute commise par la société ADP en signant une convention dont elle connaissait le caractère illégal, sous déduction de la somme de 2 581 705,92 euros correspondant aux versements partiels antérieurement effectués par la société ADP, à moins que cette somme n’ait déjà été reversée par le CHIV à la société ADP ;

Sur le pourvoi de la société ADP :

  1. Considérant, en premier lieu, que, d’une part, l’annulation d’un acte détachable d’un contrat n’implique pas nécessairement que le contrat en cause doive être annulé ; qu’il appartient au juge de l’exécution, après avoir pris en considération la nature de l’illégalité commise, soit de décider que la poursuite de l’exécution du contrat est possible, éventuellement sous réserve de mesures de régularisation prises par la personne publique ou convenues entre les parties, soit, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l’intérêt général, d’enjoindre à la personne publique de résilier le contrat, le cas échéant avec un effet différé, soit, eu égard à une illégalité d’une particulière gravité, d’inviter les parties à résoudre leurs relations contractuelles ou, à défaut d’entente sur cette résolution, à saisir le juge du contrat afin qu’il en règle les modalités s’il estime que la résolution peut être une solution appropriée ; que, dans ce dernier cas, il revient au juge de contrat de prononcer, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l’intérêt général, la résolution du contrat ; que si le juge du contrat, saisi par l’un des cocontractants sur injonction du juge de l’exécution, prononce la résolution du contrat, les parties peuvent poursuivre le litige qui les oppose sur un terrain extra-contractuel en invoquant, y compris pour la première fois en appel, des moyens tirés de l’enrichissement sans cause que l’application du contrat annulé a apporté à l’autre partie ou de la faute consistant, pour l’autre partie, à avoir conclu un contrat illégal, alors même que ces moyens, qui ne sont pas d’ordre public, reposent sur des causes juridiques nouvelles ; que, par suite, la cour administrative d’appel de Paris, en jugeant recevables les conclusions indemnitaires du CHIV présentées pour la première fois en appel sur un fondement quasi-délictuel, n’a pas commis d’erreur de droit ; qu’en outre, la société ADP n’est pas fondée à soutenir que les conclusions d’appel du CHIV seraient irrecevables, au motif que celui-ci aurait porté le montant de ses prétentions indemnitaires de 2 645 798,24 euros en première instance à 5 227 504,16 euros en appel ; qu’en effet, le CHIV avait demandé, dès l’origine, la condamnation de la société ADP à lui verser un montant correspondant à l’intégralité de la subvention ; que le montant mentionné dans ses écritures de première instance résultait de ce qu’une partie de la subvention avait déjà été versée et qu’il demandait ainsi le versement du solde, tandis que le montant réclamé en appel tenait compte de ce que, en exécution du jugement du tribunal administratif, le CHIV avait restitué le montant de l’aide qu’il avait antérieurement perçue ;
  2. Considérant, en deuxième lieu, que chacune des parties à un contrat administratif annulé ou écarté par le juge en raison de son irrégularité ou de son illicéité peut, dans le cas où celle-ci résulte d’une faute imputable à l’autre partie, et sous réserve du partage de responsabilité découlant, le cas échéant, de ses propres fautes, prétendre à la réparation du dommage qui lui a ainsi été causé ; que la cour administrative d’appel de Paris, après avoir estimé que la société ADP était seule responsable de l’illicéité du contrat, l’a condamnée à indemniser le CHIV du préjudice résultant pour ce dernier de l’engagement de travaux qu’il n’aurait pas engagés en l’absence de subvention et dont elle a regardé le montant comme équivalent, dans les circonstances de l’espèce, au montant de la subvention initialement prévue ; qu’en procédant ainsi à une analyse des parts respectives de responsabilité des deux parties et à une évaluation du préjudice effectivement subi par le CHIV, la cour n’a pas entaché son arrêt d’erreur de droit ;
  3. Considérant, en troisième lieu, qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, si certains membres de la commission consultative d’aide aux riverains se sont interrogés sur la localisation du centre hospitalier au regard du périmètre du plan de gêne sonore de l’aérodrome de Paris-Orly lors de la réunion du 23 juin 2009, cette même commission a émis un avis favorable à la demande d’aide présentée par le CHIV et que celui-ci avait déjà été, par le passé, bénéficiaire à deux reprises d’aides attribuées par la société ADP pour des travaux analogues ; qu’en vertu des dispositions précitées de l’article R. 571-90 du code de l’environnement, il revenait à la société ADP, qui n’était pas tenue d’accorder la subvention du seul fait que la commission consultative avait émis un avis favorable, de décider de son octroi, après avoir instruit la demande ; qu’en estimant, au vu de ces circonstances, que le CHIV avait pu légitimement penser que les travaux envisagés satisfaisaient aux conditions requises pour bénéficier d’une subvention destinée à l’atténuation des nuisances sonores et que l’illégalité de la convention ne lui était donc pas imputable, la cour administrative d’appel de Paris n’a pas commis d’erreur de qualification juridique des faits ;
  4. Considérant, en quatrième lieu, qu’une faute commise dans le cadre de l’examen d’une demande d’aide aux riverains n’est susceptible d’engager, à l’égard du pétitionnaire, que la responsabilité de l’exploitant d’aérodrome qui attribue ou refuse d’attribuer l’aide, quand bien même la faute résulterait de l’illégalité de l’avis émis par la commission consultative d’aide aux riverains ; que le moyen tiré de ce que la cour aurait commis une erreur de qualification juridique des faits en jugeant que ne présentait pas de caractère exonératoire la faute commise par la commission doit, par suite, être écarté ;
  5. Considérant, en cinquième lieu, que le moyen tiré de ce que la cour administrative d’appel de Paris aurait entaché son arrêt d’erreur de droit en ne prenant pas en compte, dans l’évaluation du préjudice causé au CHIV, la plus-value résultant des travaux est nouveau en cassation et n’est, par suite, pas opérant ;
  6. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que le pourvoi de la société ADP doit être rejeté ;

Sur les conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

  1. Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge du CHIV, qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante ; qu’en revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la société ADP la somme de 3 000 euros à verser au CHIV au titre de ces mêmes dispositions ;

 

 D E C I D E :

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Article 1er : Le pourvoi de la société Aéroports de Paris est rejeté.
Article 2 : La société Aéroports de Paris versera au centre hospitalier intercommunal de Villeneuve-Saint-Georges une somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société Aéroports de Paris et au centre hospitalier intercommunal de Villeneuve-Saint-Georges.

 

 

 


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