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Publié le 11 Sep 2020

Le Conseil d’Etat consacre le droit pour un acheteur public de résilier un contrat irrégulier

CE 10 juillet 2020, Sté Comptoir Négoce Equipements, req. n°430864

Dans cet arrêt, le Conseil d’Etat précise les conditions dans lesquelles un acheteur public peut résilier unilatéralement un contrat entaché d’irrégularité ainsi que les modalités d’indemnisation du cocontractant.

Le cabinet Palmier-Brault-Associés est très honoré d’être à l’origine de cette avancée jurisprudentielle !

Ce qu’il faut retenir :


Point n°1 : La consécration textuelle du pourvoir de résiliation unilatérale pour motif d’intérêt général

Dans son arrêt du 10 juillet 2020, le Conseil d’Etat rappelle tout d’abord le principe jurisprudentiel selon lequel en vertu des règles générales applicables aux contrats administratifs, la personne publique cocontractante peut toujours, pour un motif d’intérêt général, résilier unilatéralement un tel contrat, sous réserve des droits à indemnité de son cocontractant (CE 2 mai1985, Distillerie de Magnac-Laval, Lebon,p.246).

Il est important de relever que ces règles générales sont désormais codifiées par le Code de la Commande publique (même si les CCAG des différents marchés avaient déjà entrepris cette consécration textuelle). L’article L 6.5° du Code de la commande publique indique en effet que « l’autorité contractante peut résilier unilatéralement le contrat dans les conditions prévues par le présent code ». Les articles L 2195-1 à L 2195-6 du CCP pour les marchés publics et L 3136-3 à L 3136-10 pour les contrats de concessions déterminent les cas dans lesquels un acheteur public peut résilier un contrat public ainsi que les modalités d’indemnisation du cocontractant.

Lorsque la résiliation intervient pour un motif d’intérêt général, l’article L 6.5° du Code de la commande publique rappelle que le cocontractant a droit à une indemnisation, sous réserve des stipulations du contrat. La déception peut alors être très grande puisque la jurisprudence admet alors que les clauses du contrat peuvent limiter, voir exclure toute indemnité (CE 19 décembre 2012, Sté AB Trans, req.n°350341).


Point n°2 :      La consécration jurisprudentielle du pouvoir de résiliation unilatérale d’un contrat irrégulier

Hormis les différents cas désormais codifiés par le Code de la Commande publique, le Conseil d’Etat consacre également le droit pour un acheteur public de résilier unilatéralement un contrat public pour un motif tiré de son irrégularité.

Les conditions dans lesquelles un acheteur public peut résilier un contrat entaché d’irrégularité.

Toutes les irrégularités ne permettent pas de remettre en cause le contrat pour échapper à ses obligations contractuelles.

Le Conseil d’Etat subordonne le pouvoir de résiliation unilatérale pour un motif tiré de l’irrégularité du contrat aux mêmes conditions que celles qui permettent aux parties d’en contester la validité devant le juge du contrat et à ce dernier de prononcer la résiliation du contrat (CE Ass.28 décembre 2009, Commune de Béziers, req.n°304802). En d’autres termes, seuls les vices d’ordre public ou les cas où l’irrégularité est substantielle et non régularisable peuvent justifier une telle résiliation.

Ainsi, en cas de contentieux, Il appartiendra au juge de vérifier si l’irrégularité pouvait être invoquée par la personne publique au regard de l’exigence de loyauté des relations contractuelles et si elle était d’une gravité telle que, s’il avait été saisi, le juge du contrat aurait pu prononcer l’annulation ou la résiliation du marché en litige, et, dans l’affirmative, sans définir le montant de l’indemnité due à au titulaire.

Le Conseil d’Etat crée un nouveau cas de résiliation selon lequel « dans le cas particulier d’un contrat entaché d’une irrégularité d’une gravité telle que, s’il était saisi, le juge du contrat pourrait en prononcer l’annulation ou la résiliation, la personne publique peut, sous réserve de l’exigence de loyauté des relations contractuelles, résilier unilatéralement le contrat sans qu’il soit besoin qu’elle saisisse au préalable le juge ».

Après une telle résiliation, le cocontractant peut prétendre au remboursement de toutes les dépenses qui ont été utiles à la collectivité envers laquelle il s’était engagé, sur un terrain quasi-contractuel.

En outre, si l’irrégularité du contrat résulte d’une faute de l’administration, le cocontractant peut, sous réserve du partage de responsabilités découlant le cas échéant de ses propres fautes, prétendre à la réparation du dommage imputable à la faute de l’administration. Saisi d’une demande d’indemnité sur ce second fondement, il appartient alors au juge d’apprécier si le préjudice allégué présente un caractère certain et s’il existe un lien de causalité direct entre la faute de l’administration et le préjudice subi.


CE 10 juillet 2020, Sté Comptoir Négoce Equipements, req. n°430864

Considérant ce qui suit :

  1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la communauté d’agglomération Reims métropole a lancé une procédure de passation sous la forme d’un appel d’offres ouvert pour l’attribution d’un marché public ayant pour objet la fourniture de points lumineux, supports et pièces détachées. Ce marché public a été décomposé en trois lots distincts ayant pour objet la fourniture de points lumineux (lot n° 1), la fourniture de supports (lot n°2) et la fourniture de pièces détachées (lot n°3). Ces trois lots ont été attribués à la société Comptoir Négoce Equipements, qui a commencé l’exécution des prestations le 1er janvier 2015. Le 5 février 2015, la communauté d’agglomération Reims métropole l’a toutefois informée de la résiliation des trois lots à compter du 1er avril 2015 en raison de l’irrégularité entachant la procédure de passation du marché. Saisi par la société Comptoir Négoce Equipements d’une demande tendant à la reprise des relations contractuelles, assortie de conclusions indemnitaires, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a, par un jugement du 8 août 2017, constaté qu’il n’y avait plus lieu de statuer sur les conclusions en reprise des relations contractuelles, puis condamné la communauté urbaine du Grand Reims, venue aux droits de la communauté d’agglomération Reims métropole, à verser à cette société une somme de 172 560,73 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 25 mars 2015, en réparation des préjudices subis, au titre de l’année 2015, du fait de la résiliation de ces lots. La communauté urbaine du Grand Reims a relevé appel de ce jugement et, par la voie de l’appel incident, la société Comptoir Négoce Equipements a contesté le jugement en tant qu’il n’a pas indemnisé les préjudices qu’elle estime avoir subis au titre des années 2016 et 2017. Par un arrêt du 19 mars 2019, contre lequel la société Comptoir Négoce Equipements se pourvoit en cassation, la cour administrative d’appel de Nancy a essentiellement annulé le jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne en tant qu’il a condamné la communauté urbaine du Grand Reims à verser à la société une somme de 172 560,73 euros et rejeté le surplus des conclusions des parties. Eu égard aux moyens soulevés, le pourvoi doit être regardé comme dirigé contre l’arrêt attaqué en tant qu’il a partiellement annulé le jugement du 8 août 2017 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne puis rejeté les conclusions d’appel incident de la société requérante.
  2. En vertu des règles générales applicables aux contrats administratifs, la personne publique cocontractante peut toujours, pour un motif d’intérêt général, résilier unilatéralement un tel contrat, sous réserve des droits à indemnité de son cocontractant.
  3. Dans le cas particulier d’un contrat entaché d’une irrégularité d’une gravité telle que, s’il était saisi, le juge du contrat pourrait en prononcer l’annulation ou la résiliation, la personne publique peut, sous réserve de l’exigence de loyauté des relations contractuelles, résilier unilatéralement le contrat sans qu’il soit besoin qu’elle saisisse au préalable le juge. Après une telle résiliation unilatéralement décidée pour ce motif par la personne publique, le cocontractant peut prétendre, sur un terrain quasi-contractuel, pour la période postérieure à la date d’effet de la résiliation, au remboursement de celles de ses dépenses qui ont été utiles à la collectivité envers laquelle il s’était engagé. Si l’irrégularité du contrat résulte d’une faute de l’administration, le cocontractant peut, en outre, sous réserve du partage de responsabilités découlant le cas échéant de ses propres fautes, prétendre à la réparation du dommage imputable à la faute de l’administration. Saisi d’une demande d’indemnité sur ce second fondement, il appartient au juge d’apprécier si le préjudice allégué présente un caractère certain et s’il existe un lien de causalité direct entre la faute de l’administration et le préjudice.
  4. Aux termes du deuxième alinéa de l’article 29 du cahier des clauses administratives générales (CCAG) des marchés publics de fournitures courantes et de services, applicable en vertu de l’article 5 du cahier des clauses administratives particulières du marché litigieux : “ Le pouvoir adjudicateur peut également mettre fin, à tout moment, à l’exécution des prestations pour un motif d’intérêt général (…) “.
  5. Aux termes du IV de l’article 6 du code des marchés publics, alors en vigueur, désormais repris à l’article R. 2111-7 du code de la commande publique : “ Les spécifications techniques ne peuvent pas faire mention d’un mode ou procédé de fabrication particulier ou d’une provenance ou origine déterminée, ni faire référence à une marque, à un brevet ou à un type, dès lors qu’une telle mention ou référence aurait pour effet de favoriser ou d’éliminer certains opérateurs économiques ou certains produits. Toutefois, une telle mention ou référence est possible si elle est justifiée par l’objet du marché ou, à titre exceptionnel, dans le cas où une description suffisamment précise et intelligible de l’objet du marché n’est pas possible sans elle et à la condition qu’elle soit accompagnée des termes : “ou équivalent” (…) “. Pour l’application de ces dispositions, il y a lieu d’examiner si la spécification technique a ou non pour effet de favoriser ou d’éliminer certains opérateurs économiques ou certains produits, puis, dans l’hypothèse seulement d’une telle atteinte à la concurrence, si cette spécification est justifiée par l’objet du marché ou, si tel n’est pas le cas, si une description suffisamment précise et intelligible de l’objet du marché n’est pas possible sans elle.
  6. Il ressort des énonciations de l’arrêt attaqué que la cour administrative d’appel de Nancy a souverainement jugé, sans dénaturer les pièces du dossier qui lui était soumis, au vu notamment d’autres marchés dans lesquels les documents de la consultation comportaient la mention “ ou équivalent “ au titre des spécifications techniques, que l’omission de cette mention dans le marché en litige avait eu pour effet de favoriser la candidature de la société Comptoir Négoce Equipements. Toutefois, la cour a commis une erreur de droit en en déduisant que cette irrégularité justifiait la résiliation du contrat en litige par la communauté d’agglomération du Grand Reims par application des stipulations contractuelles citées au point 4, sans rechercher si cette irrégularité pouvait être invoquée par la personne publique au regard de l’exigence de loyauté des relations contractuelles et si elle était d’une gravité telle que, s’il avait été saisi, le juge du contrat aurait pu prononcer l’annulation ou la résiliation du marché en litige, et, dans l’affirmative, sans définir le montant de l’indemnité due à la société requérante conformément aux règles définies au point 3.
  7. Si la communauté urbaine du Grand Reims soutient, en défense, que la société requérante ne peut prétendre à aucune indemnisation au motif que le contrat en litige est un marché à bons de commande sans minimum contractuel, cette demande de substitution de motifs ne peut être retenue dès lors qu’il ne résulte pas des règles énoncées au point 3 que le titulaire d’un tel marché n’aurait, par principe, aucun droit à indemnité dans ce cas de résiliation du contrat.
  8. Il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, que la société Comptoir Négoce Equipements est fondée à demander l’annulation de l’arrêt qu’elle attaque en tant qu’il a partiellement annulé le jugement du 8 août 2017 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne puis rejeté ses conclusions d’appel.
  9. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la communauté urbaine du Grand Reims le versement à la société Comptoir Négoce Equipements d’une somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. En revanche, ces dispositions font obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de cette société qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :
Article 1er : Les articles 1er et 3 de l’arrêt du 19 mars 2019 de la cour administrative d’appel de Nancy, ainsi que son article 4 en tant qu’il a rejeté les conclusions d’appel de la société Comptoir Négoce Equipements, sont annulés.
Article 2 : L’affaire est renvoyée, dans cette mesure, à la cour administrative d’appel de Nancy.
Article 3 : La communauté urbaine du Grand Reims versera à la société Comptoir Négoce Equipements une somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Les conclusions présentées au même titre par la communauté urbaine sont rejetées.


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