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Publié le 27 Mar 2019

Le caractère anormalement bas d’une offre s’apprécie de manière globale !

CE 13 mars 2019, Sté Sepur, req.n°425191

Dans cette affaire, le Conseil d’Etat considère que le prix anormalement bas d’une offre s’apprécie au regard de son prix global et le simple fait de proposer une offre financière qui s’abstient de facturer certaines prestations n’est pas suffisant en soit pour considérer l’offre comme anormalement basse.

Enseignement n°1 :

Quelle que soit la procédure de passation mise en œuvre et le type de marché, il incombe au pouvoir adjudicateur qui constate qu’une offre paraît anormalement basse de solliciter auprès de son auteur toutes précisions et justifications de nature à expliquer le prix proposé en application de l’article 60-I du décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics. Si les précisions et les justifications apportées ne sont pas suffisantes pour que le prix proposé ne soit pas regardé comme manifestement sous-évalué et de nature, ainsi, à compromettre la bonne exécution du marché, il lui appartient alors de rejeter son offre, sauf à porter atteinte à l’égalité entre les candidats à l’attribution d’un marché public .

Dans son arrêt du 13 mars 2019, Sté Sepur, le Conseil d’Etat pose désormais la règle selon laquelle « le prix anormalement bas d’une offre s’apprécie au regard de son prix global ». A priori, cette approche paraît cohérente d’un point de vue économique dès lors que ce n’est pas parce que un candidat décide de ne pas facturer une prestation, autrement dit de la chiffrer à zéro, que pour autant son offre financière n’est pas économiquement viable. La solution rendue va néanmoins compliquer le travail d’analyse des acheteurs dès lors que face à une telle situation, qui ne va pas manquer de se reproduire, il appartiendra de déterminer pour chaque cas d’espèce, si la ou les prestations non facturées sont essentielles à la bonne exécution du contrat et si son absence de chiffrage est susceptible de compromettre ou pas la bonne exécution des prestations. C’est pas gagné quand on sait que précédemment le Conseil d’Etat a considéré qu’une offre financière cette fois ci-globale égale au prix d’achat des fournitures n’est pas suffisant pour caractériser une offre anormalement basse (CE 22 janvier 2018, Commune de Vitry-Le-François, req.n°414860).

Cet arrêt s’inscrit dans la droite ligne de la politique jurisprudentielle du Conseil d’Etat qui a en réalité vidé de tout son sens la notion d’offre anormalement basse et qui se détourne tant de la lettre que de l’esprit de la réglementation en vigueur. C’est ainsi qu’un écart de prix de plus de 50 % n’est plus considéré comme « devant éveiller » le doute de l’acheteur public afin qu’il réclame des éclaircissements (CE 4 mai 2016, ADILE de Vendée, req.n° 396590) et de ce fait pour considérer une offre comme anormalement basse. Il ne faut donc plus s’étonner de voir des ordonnances de référé aussi étonnantes que celles qui considèrent désormais qu’un écart de prix de plus de 200 % n’est pas suffisant pour déclencher le dispositif de détection des offres anormalement basse (TA Nantes, ord., 11 avril 2017, Société ISL Informatique, n°1702581).

Enseignement n°2 :

L’arrêt du Conseil d’Etat est également intéressant en ce qu’il valide désormais la pratique de certains soumissionnaires de chiffrer certaines prestations du marché à « zéro », proposant en cela de ne pas la facturer, quand bien même lesdites prestations feraient l’objet d’une sous-pondération spécifique au sein du critère du prix.

Attention néanmoins :

  • Une offre qui omet de renseigner certains prix du BPU doit être considérée comme une offre irrégulière dès lors qu’elle ne respecte pas les prescriptions du règlement de la consultation qui exige de renseigner tous les prix du BPU (TA Rouen, 16 janvier 2014, n°1303494, SOCIETE TERH MONUMENTS HISTORIQUES);
  • En revanche, conformément à l’arrêt du Conseil d’Etat, une offre qui fixe certains prix du BPU à « zéro » ne peut pas être considérée comme irrégulière. En clair, pour éviter que l’offre ne soit considérée comme irrégulière, il convient de chiffrer tous les prix du BPU.

 


 

CE 13 mars 2019, Sté Sepur, req.n°425191

 

Considérant ce qui suit :

  1. Aux termes de l’article L. 551-1 du code de justice administrative : ” Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu’il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l’exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d’exploitation, ou la délégation d’un service public. / Le juge est saisi avant la conclusion du contrat “. Aux termes de l’article L. 551-2 du même code : ” I. – Le juge peut ordonner à l’auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l’exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s’il estime, en considération de l’ensemble des intérêts susceptibles d’être lésés et notamment de l’intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l’emporter sur leurs avantages. / Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations “. Selon l’article L. 551-10 du même code : ” Les personnes habilitées à engager les recours prévus aux articles L. 551-1 et L. 551-5 sont celles qui ont un intérêt à conclure le contrat et qui sont susceptibles d’être lésées par le manquement invoqué (…) “.
  2. Il ressort des pièces du dossier que, par un avis d’appel à concurrence publié le 26 juin 2018, la communauté d’agglomération du Grand Sénonais a lancé une procédure d’appel d’offres ouvert en vue de l’attribution d’un marché public portant sur la collecte et l’évacuation des ordures ménagères résiduelles et des déchets d’emballage recyclables issus de la collecte en porte à porte ainsi que la collecte des cartons des gros producteurs. La société Sepur, candidate, a été informée le 25 septembre 2018 du rejet de son offre comme anormalement basse. Elle a demandé au juge du référé précontractuel du tribunal administratif de Dijon d’annuler cette décision. Elle se pourvoit en cassation contre l’ordonnance du 17 octobre 2018 par laquelle celui-ci a rejeté sa demande.
  3. Aux termes de l’article 53 de l’ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics : ” Lorsqu’une offre semble anormalement basse, l’acheteur exige que l’opérateur économique fournisse des précisions et justifications sur le montant de son offre. / Si, après vérification des justifications fournies par l’opérateur économique, l’acheteur établit que l’offre est anormalement basse, il la rejette dans des conditions fixées par voie réglementaire. / L’acheteur met en oeuvre tous moyens pour détecter les offres anormalement basses lui permettant de les écarter “. Aux termes de l’article 60 du décret du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics : ” I. – L’acheteur exige que le soumissionnaire justifie le prix ou les coûts proposés dans son offre lorsque celle-ci semble anormalement basse eu égard aux travaux, fournitures ou services, y compris pour la part du marché public qu’il envisage de sous traiter. (…) II. – l’acheteur rejette l’offre: / 1° Lorsque les éléments fournis par le soumissionnaire ne justifient pas de manière satisfaisante le bas niveau du prix ou des coûts proposés (…) “.
  4. Il résulte de ces dispositions que l’existence d’un prix paraissant anormalement bas au sein de l’offre d’un candidat, pour l’une seulement des prestations faisant l’objet du marché, n’implique pas, à elle-seule, le rejet de son offre comme anormalement basse, y compris lorsque cette prestation fait l’objet d’un mode de rémunération différent ou d’une sous-pondération spécifique au sein du critère du prix. Le prix anormalement bas d’une offre s’apprécie en effet au regard de son prix global. Il s’ensuit que le juge des référés du tribunal administratif de Dijon a commis une erreur de droit en se fondant, pour juger que la communauté d’agglomération du Grand Sénonais n’avait pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en rejetant l’offre de la société Sepur comme anormalement basse, sur le seul motif que celle-ci proposait de ne pas facturer les prestations de collecte supplémentaire des ordures ménagères produites par certains gros producteurs. 

  5. Toutefois, il ressort des pièces soumises au Conseil d’Etat par la communauté d’agglomération du Grand Sénonais le 22 février 2019 et communiquées à la requérante que le marché a été signé le 18 octobre 2018, soit antérieurement au 5 novembre 2018, date d’introduction du pourvoi de la société Sepur. Son pourvoi est par suite irrecevable.
  6. Il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire droit aux conclusions présentées par les parties au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

 

DECIDE

Article 1er : Le pourvoi de la société Sepur est rejeté.
Article 2 : Les conclusions de la communauté d’agglomération du Grand Sénonais présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société Sepur et à la communauté d’agglomération du Grand Sénonais


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