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Publié le 20 Mai 2019

L’absence de contrôle des capacités financières d’un candidat peut couter très cher !

CAA Paris 13 mai 2019, AIR ALIZE, n°17PA00023

Dans cette affaire, le Conseil d’Etat rappelle toute l’importance pour les acheteurs publics de bien vérifier les capacités financières de l’attributaire pressenti à défaut de quoi le contrat peut encourir l’annulation.

Enseignement n°1 : Obligation pour l’acheteur public de contrôler les capacités financières de l’attributaire pressenti du contrat

Le Conseil d’Etat a déjà eu l’occasion de rappeler à plusieurs reprises que l’acheteur public a l’obligation de contrôler les capacités professionnelles, techniques et financières des candidats à l’attribution d’un marché public (CE 12 novembre 2015, SAGEM, req.n°386578, CE 26 mars 2008, Communauté urbaine de Lyon, req.n°303779). Dans un arrêt du 15 mars 2019, SAGEM, n°413584, le Conseil d’Etat a également rappelé que si l’opérateur économique entend se prévaloir des capacités financières d’un autre opérateur économique, son dossier de candidature doit impérativement contenir un engagement formalisé de celui-ci.

En cas de contestation des capacités financières de l’attributaire du contrat par un requérant, l’acheteur public est tenu d’apporter la preuve qu’il s’est réellement mis en mesure de contrôler ses capacités techniques et financières ainsi que les justificatifs de ce contrôle (CE 15 mars 2019, SAGEM, n°413584, CE 17 septembre 2014, Société Delta Process, req. n°378722).

Ces obligations s’imposent également pour l’attribution pour tous les contrats publics, marchés publics et concessions. 

Dans son arrêt du 13 mai 2019, la Cour administrative d’appel de Paris considère qu’à la date du dépôt de son offre, la société déclarée attributaire du marché ne disposait pas des garanties financières suffisantes pour se voir attribuer le marché en se basant sur les différents bilans financiers négatifs produits par le requérant. La Cour en conclut que son offre aurait dû être écartée dès le stade de la première enveloppe pour respecter l’égalité entre les candidats, ce qui n’a pas été fait.

La Cour administrative d’appel de Paris considère au final que l’acheteur public a commis une erreur manifeste dans l’appréciation des capacités financières de la société déclarée attributaire du marché en lui attribuant le marché et que cette erreur a eu pour effet de léser directement l’intérêt poursuivi par la société requérante, placée en deuxième position.

Enseignement n°2 :  L’absence de contrôle des capacités financières constitue un vice d’une particulière gravité justifiant l’annulation du contrat

Dans son arrêt du 13 mai 2019, la Cour administrative d’appel de Paris considère que l’absence de prise en compte des capacités financières de la société déclarée attributaire du marché a eu une influence déterminante dans le choix de l’attributaire et constitue de ce fait une irrégularité grave, de nature à porter atteinte aux règles de liberté de la concurrence et d’égal accès à la commande publique imposant l’annulation totale de ce marché.

Toutefois, l’effet rétroactif de cette annulation étant de nature à emporter des conséquences manifestement excessives, en raison de l’intérêt général s’attachant au maintien des missions d’évacuation sanitaire par avion du SAMU, elle considère qu’il y a lieu de différer les effets de son annulation au 1er novembre 2019 pour permettre au CHT de Nouméa de relancer la procédure de passation du marché annulé.


CAA Paris 13 mai 2019, AIR ALIZE, n°17PA00023

  1. La Cour de céans a, par un arrêt n° 13PA00041 du 6 octobre 2014, annulé, avec effet différé au 1er octobre 2015, le marché de “ Prestations de transports sanitaires par avion du SAMU “ conclu le 21 mars 2011 pour une durée de 5 ans entre la société Air Loyauté et le centre hospitalier territorial (CHT) de Nouméa. Le CHT de Nouméa a lancé une nouvelle procédure d’attribution de ce contrat le 11 mai 2015. La société Air Alizé a déposé une offre le 3 juillet 2015. Le marché a été attribué le 23 septembre 2015 à la société sortante Air Loyauté, pour une durée de six ans, à compter du 1er octobre 2015. La société Air Alizé, candidate évincée, fait appel du jugement du 3 novembre 2016 par lequel le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a rejeté sa demande tendant à l’annulation de ce nouveau marché.

Sur la validité du contrat :

  1. Indépendamment des actions dont disposent les parties à un contrat administratif et des actions ouvertes devant le juge de l’excès de pouvoir contre les clauses réglementaires d’un contrat ou devant le juge du référé contractuel sur le fondement des articles L. 551-13 et suivants du code de justice administrative, tout tiers à un contrat administratif susceptible d’être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles. Cette action devant le juge du contrat est également ouverte aux membres de l’organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné ainsi qu’au représentant de l’Etat dans le département dans l’exercice du contrôle de légalité. Si le représentant de l’Etat dans le département et les membres de l’organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné, compte tenu des intérêts dont ils ont la charge, peuvent invoquer tout moyen à l’appui du recours ainsi défini, les autres tiers ne peuvent invoquer que des vices en rapport direct avec l’intérêt lésé dont ils se prévalent ou ceux d’une gravité telle que le juge devrait les relever d’office. Le tiers agissant en qualité de concurrent évincé de la conclusion d’un contrat administratif ne peut ainsi, à l’appui d’un recours contestant la validité de ce contrat, utilement invoquer, outre les vices d’ordre public, que les manquements aux règles applicables à la passation de ce contrat qui sont en rapport direct avec son éviction.
  2. Aux termes de l’article 13-3 de la délibération susvisée du 1er mars 1967 : “ L’exécution des marchés ne peut être confiée qu’aux entreprises ayant les capacités juridiques, techniques et financières nécessaires. L’administration apprécie souverainement ces capacités (…) “. L’article 5 du règlement de la consultation dispose quant à lui que : “ 5. Ouverture de la première enveloppe : dossier administratif et technique (…) c) offre inacceptable : sera jugée comme inacceptable toute offre (…) qui montre que le candidat ne présente manifestement pas les garanties professionnelles et financières suffisantes en rapport avec la prestation objet du marché (…) “.
  3. Il résulte de l’instruction que les états financiers de la société Air Loyauté sont gravement déficitaires depuis l’année 2012, ces déficits allant de 2,2 millions d’euros en 2012 et 2013 à 3,8 millions d’euros en 2015. Si, pour leur défense, les intimés soutiennent que la société Air Loyauté détenait en 2014 d’importants actifs à son bilan, il apparait toutefois au vu du rapport du commissaire aux comptes établi en 2015, qu’à cette date, cette société ne devait sa survie qu’à des apports en compte courants versés par son actionnaire majoritaire la SODIL, qui est une société d’économie mixte, elle-même déficitaire, détenue par la province des iles Loyauté. Le directeur de la SODIL atteste de la situation déficitaire de sa filiale au 31 mars 2015, en indiquant qu’il sera procédé à un abandon de créance et à une augmentation de capital d’environ 60 000 000 francs CFP d’ici la fin de l’année. Il apparait donc qu’à la date du dépôt de son offre, la société Air Loyauté ne disposait pas des garanties financières suffisantes pour se voir attribuer le marché. Par suite, son offre aurait dû être écartée, en application de l’article 5 précité du règlement de la consultation, dès le stade de la première enveloppe, ce qui n’a pas été fait. Le CHT de Nouméa a donc commis une erreur manifeste dans l’appréciation des capacités financières de la société Air Loyauté en lui attribuant le marché, cette erreur ayant eu pour effet de léser directement l’intérêt poursuivi par la société Air Alizé.

Sur les conséquences à tirer du vice opérant affectant la validité du contrat :

  1. Il appartient au juge, lorsqu’il constate l’existence de vices entachant la validité du contrat, d’en apprécier les conséquences. Il lui revient, après avoir pris en considération la nature de ces vices, soit de décider que la poursuite de l’exécution du contrat est possible, soit d’inviter les parties à prendre des mesures de régularisation dans un délai qu’il fixe, sauf à résilier ou résoudre le contrat. En présence d’irrégularités qui ne peuvent être couvertes par une mesure de régularisation et qui ne permettent pas la poursuite de l’exécution du contrat, il lui revient de prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l’intérêt général, soit la résiliation du contrat, soit, si le contrat a un contenu illicite ou s’il se trouve affecté d’un vice de consentement ou de tout autre vice d’une particulière gravité que le juge doit ainsi relever d’office, l’annulation totale ou partielle de celui-ci. Il peut enfin, s’il en est saisi, faire droit, y compris lorsqu’il invite les parties à prendre des mesures de régularisation, à des conclusions tendant à l’indemnisation du préjudice découlant de l’atteinte à des droits lésés.
  2. L’absence de prise en compte des capacités financières de la société Air Loyauté, retenu au point 4, a eu une influence déterminante dans le choix de l’attributaire et constitue une irrégularité grave, de nature à porter atteinte aux règles de liberté de la concurrence et d’égal accès à la commande publique imposant l’annulation totale de ce marché. Toutefois, l’effet rétroactif de cette annulation étant de nature à emporter des conséquences manifestement excessives, en raison de l’intérêt général s’attachant au maintien des missions d’évacuation sanitaire par avion du SAMU, il y a lieu de différer les effets de son annulation au 1er novembre 2019 pour permettre au CHT de Nouméa de relancer la procédure de passation du marché annulé.

  3. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur la régularité du jugement attaqué, que la société Air Alizé est fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a rejeté sa demande tendant à l’annulation du marché de “ Prestations de transports sanitaires par avion du SAMU “.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie n° 1500466 du 3 novembre 2016 et le marché de “ Prestations de transports sanitaires par avion du SAMU “ attribué par le centre hospitalier territorial de Nouméa (CHT) à la société Air Loyauté le 23 septembre 2015 sont annulés avec effet au 1er novembre 2019.
Article 2 : Le CHT de Nouméa versera à la société Air Alizé une somme de 2 000 (deux mille) euros en application de l’article L. 761- du code de justice administrative.
Article 3 : Les conclusions des sociétés intimées présentées sur ce même fondement sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié aux sociétés Air Alizée et Air Loyauté, et au centre hospitalier territorial de Nouméa. Copie en sera adressée au Haut-Commissaire de Nouvelle-Calédonie.


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