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Publié le 09 Juin 2019

La portée du caractère obligatoire du règlement de la consultation

CE 22 mai 2019, Sté Corsica Ferries, req.n°426763

Le Conseil d’Etat rappelle que les candidats à l’attribution d’un contrat de concession doivent respecter les exigences imposées par le règlement de la consultation et ne peuvent être exonérés de cette obligation que dans l’hypothèse où l’une de ces exigences est manifestement dépourvue de toute utilité pour l’examen des candidatures ou des offres.

Enseignement n°1 : Rappel du caractère obligatoire du règlement de la consultation

Les textes et la jurisprudence rappellent le caractère obligatoire du règlement de la consultation

S’agissant des textes, l’article L 3123-21 du Code de la commande rappelle que ne sont pas admis à participer à la suite de la procédure de passation du contrat de concession les candidats qui produisent une candidature incomplète par rapport aux exigences du règlement de la consultation. L’article L 3124-3 du Code de la commande publique indique également qu’une offre irrégulière qui ne respecte pas les exigences formulées dans les documents de la consultation doit être écartée.

Le principe selon lequel le règlement de la consultation d’une concession de service public ou d’un marché public est obligatoire dans toutes ses mentions est constamment réitéré par la jurisprudence du Conseil d’Etat (CE 23 novembre 2005, Société Axialogic, req.n°267494). C’est la raison pour laquelle, le Conseil d’Etat considère comme irrégulière une candidature ou une offre qui de manière générale ne respecte pas les exigences des cahiers des charges (CE 25 mars 2013, Département de l’Hérault, req.n°364824).

Enseignement n°2 : Rappel du caractère obligatoire du mode de transmission des candidatures et des offres

Dans son arrêt du 22 mai 2019, Sté Corsica Ferries, le Conseil d’Etat considère qu’une candidature doit être regardée comme incomplète quand bien même elle contiendrait les pièces et informations dont la production est obligatoire, dès lors qu’elle ne respecte pas les exigences fixées par le règlement de la consultation relatives au mode de transmission des documents, sous réserve que ces exigences ne soient pas manifestement inutiles.

Dans cette affaire, le Conseil d’Etat estime que l’obligation imposée aux candidats par le règlement de la consultation de déposer une version sur support numérique des dossiers de candidature n’est pas une formalité inutile, en raison notamment de ce qu’elle avait pour objet de permettre l’analyse des candidatures déposées dans des délais contraints. Par suite, la Haute Juridiction administrative considère que c’est sans commettre d’erreur de droit que le juge des référés a estimé que l’absence de version sous format dématérialisé du dossier de candidature de la société avait pour effet de rendre cette candidature incomplète alors même qu’une version sous format papier comportant les pièces et informations demandées avait été également déposée.

En quoi le défaut de production d’un dossier de candidature sous format dématérialisé serait plus utile pour son appréciation que celui présenté sous format papier ? Le Conseil d’Etat semble considérer que « des délais contraints d’analyse» peuvent justifier cette utilité et partant le rejet…..La solution ne manque pas de surprendre par sa sévérité tant on a du mal à comprendre en quoi une candidature sous format dématérialisée permettrait une analyse plus rapide qu’une candidature présentée sous format papier. L’argument ne tient pas. Que le mode de transmission par voie dématérialisé représente un certain confort pour l’acheteur en lui assurant une transmission rapide en interne de la version numérique du dossier de candidature d’un service à un autre est une chose, mais en de là à ériger en solution de principe que la transmission par voie dématérialisée est plus utile que la transmission par voie papier pour l’analyse intrinsèque de la candidature ou de l’offre surprend quelque peu, notamment lorsque, comme en l’espèce, la version papier du dossier de candidature était complète.

Enseignement n°3 :  Les exceptions au caractère obligatoire du règlement de la consultation

Le caractère obligatoire du règlement de la consultation cède toutefois dans trois hypothèses.

  1. La première hypothèse est celle dans laquelle certaines des exigences fixées par le pouvoir adjudicateur sont elles-mêmes soit illégales, soit de nature à faire échec au principe d’égalité d’accès à la commande publique (CE 6 novembre 1998, Assistance Publique – Hôpitaux de Marseille, aux tables p. 1019).
  2. La seconde hypothèse est celle où l’irrégularité commise est à la fois formelle et dénuée de toute portée. Ainsi, une offre n’est pas irrégulière en raison de l’omission de signer une seule des pièces du marché, lorsque cette omission ne modifie ni le sens, ni la validité de l’engagement du soumissionnaire (CE 8 mars 1996, M. Pelte, req.n°133198, CE 9 novembre 2007, Société Isosec, req.n°288289).
  3. La troisième hypothèse est désormais celle où le mode de transmission des candidatures et des offres prévu par le règlement de la consultation n’est pas respecté (CE 22 mai 2019, Sté Corsica Ferries, req.n°426763).

CE 22 mai 2019, Sté Corsica Ferries, req.n°426763

 

  1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Bastia que, par un avis d’appel public à la concurrence publié le 8 août 2018, la collectivité de Corse a lancé une procédure pour la passation de nouvelles conventions de délégation de service public de transport maritime de marchandises et de passagers entre la Corse et le continent pour une durée de quinze mois du 1er octobre 2019 au 31 décembre 2020. Cette procédure a fait l’objet d’un allotissement en cinq lots correspondant à chacune des liaisons maritimes entre le port de Marseille et les ports d’Ajaccio, de Bastia, de Porto-Vecchio, de Propriano et de L’Ile-Rousse. Par un courrier du 13 novembre 2018, le président du conseil exécutif de la collectivité de Corse a informé la société Corsica Ferries du rejet de sa candidature, au motif qu’elle avait été présentée au format papier sans être accompagnée de copies dématérialisées remises par clés USB, en méconnaissance de l’article 6-1 du règlement de la consultation. Cette société a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Bastia, sur le fondement des dispositions de l’article L. 551-1 du code de justice administrative, d’une demande tendant à l’annulation de la décision de rejet de sa candidature et à ce qu’il soit enjoint à la collectivité de Corse de l’admettre à déposer une offre et d’engager une négociation avec elle. La société Corsica Ferries se pourvoit en cassation contre l’ordonnance du 18 décembre 2018 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Bastia a rejeté ses demandes.
  2. D’une part, aux termes de l’article 23 du décret du 1er février 2016 relatif aux contrats de concession : “ I. – Avant de procéder à l’examen des candidatures, l’autorité concédante qui constate que des pièces ou informations dont la production était obligatoire conformément aux articles 19, 20 et 21 peuvent demander aux candidats concernés de compléter leur dossier de candidature dans un délai approprié. Elle informe alors les autres candidats de la mise en oeuvre de la présente disposition. II. – Les candidats qui produisent une candidature incomplète, le cas échéant après mise en oeuvre des dispositions du I, ou contenant de faux renseignements ou documents ne sont pas admis à participer à la suite de la procédure de passation du contrat de concession. / Les candidatures irrecevables sont également éliminées. Est irrecevable la candidature présentée par un candidat qui ne peut participer à la procédure de passation en application des articles 39, 40, 42 et 44 de l’ordonnance du 29 janvier 2016 susvisée ou qui ne possède pas les capacités ou les aptitudes exigées en application de l’article 45 de la même ordonnance “.
  3. D’autre part, le règlement de la consultation prévu par une autorité concédante pour la passation d’un contrat de concession est obligatoire dans toutes ses mentions. L’autorité concédante ne peut, dès lors, attribuer ce contrat à un candidat qui ne respecte pas une des exigences imposées par ce règlement, sauf si cette exigence se révèle manifestement dépourvue de toute utilité pour l’examen des candidatures ou des offres. Une candidature doit être regardée comme incomplète, au sens de l’article 23 du décret du 1er février 2016, quand bien même elle contiendrait les pièces et informations dont la production est obligatoire en application des articles 19, 20 et 21 de ce décret, dès lors qu’elle ne respecte pas les exigences fixées par le règlement de la consultation relatives au mode de transmission de ces documents, sous réserve que ces exigences ne soient pas manifestement inutiles.

  4. En premier lieu, il ressort des énonciations de l’ordonnance attaquée que, pour rejeter la demande de la société Corsica Ferries, le juge des référés du tribunal administratif de Bastia a estimé, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, que l’obligation imposée aux candidats par l’article 6-1 du règlement de la consultation de déposer une version sur support numérique des dossiers de candidature n’était pas une formalité inutile, en raison notamment de ce qu’elle avait pour objet de permettre l’analyse des candidatures déposées dans des délais contraints. Ainsi qu’il a été dit au point précédent, les candidats à l’attribution d’un contrat de concession doivent respecter les exigences imposées par le règlement de la consultation et ne peuvent être exonérés de cette obligation que dans l’hypothèse où l’une de ces exigences serait manifestement dépourvue de toute utilité pour l’examen des candidatures ou des offres. Par suite, c’est sans commettre d’erreur de droit que le juge des référés a estimé que l’absence de version sous format dématérialisé du dossier de candidature de la société Corsica Ferries avait pour effet de rendre cette candidature incomplète au sens de l’article 23 du décret du 1er février 2016 précité, alors même qu’une version sous format papier comportant les pièces et informations demandées avait été également déposée.

  5. En deuxième lieu, aux termes du I de l’article L. 1411-5 du code général des collectivités territoriales : “ Une commission ouvre les plis contenant les candidatures ou les offres et dresse la liste des candidats admis à présenter une offre après examen de leurs garanties professionnelles et financières, de leur respect de l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés prévue aux articles L. 5212-1 à L. 5212-4 du code du travail et de leur aptitude à assurer la continuité du service public et l’égalité des usagers devant le service public (…). “
  6. Il résulte des énonciations de l’ordonnance attaquée que la commission de délégation de service public a cru à tort, lors de l’ouverture du dossier de candidature de la société Corsica Ferries, que celui-ci contenait un disque dur externe, et que ce n’est que dans un second temps que le service d’assistance à maîtrise d’ouvrage s’est aperçu qu’il ne s’agissait que d’un lecteur de CD-Rom vide. Après avoir souverainement estimé que le dossier était effectivement incomplet dès l’ouverture des dossiers de candidature, le juge des référés du tribunal administratif de Bastia n’a pas commis d’erreur de droit en relevant qu’il appartenait, dans ces conditions, à la commission de délégation de service public, compte tenu des compétences qu’elle tient de l’article L. 1411-5 du code général des collectivités territoriales, de rejeter comme incomplète la candidature de la société Corsica Ferries.
  7. En dernier lieu, la circonstance que la commission de délégation de service public n’ait été composée, lors de sa réunion, que de membres titulaires ou suppléants issus de la majorité n’implique pas, par elle-même, que cette composition ait été irrégulière. En écartant le moyen tiré de l’irrégularité de la composition de la commission, qui ne reposait que sur cette seule circonstance, le juge des référés du tribunal administratif de Bastia, qui a au demeurant relevé que les deux membres suppléants ayant siégé au sein de la commission de délégation de service public avaient bien remplacé les deux membres titulaires absents dont ils étaient les suppléants, n’a pas entaché son ordonnance d’erreur de droit.
  8. Il résulte de ce qui précède que la société Corsica Ferries n’est pas fondée à demander l’annulation de l’ordonnance attaquée, qui est suffisamment motivée. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font, par suite, obstacle à ce qu’il soit fait droit à ses conclusions présentées au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, au titre des mêmes dispositions, de mettre à sa charge le versement d’une somme de 4 000 euros à la collectivité de Corse.

 

D E C I D E :
Article 1er : Le pourvoi de la société Corsica Ferries est rejeté.
Article 2 : La société Corsica Ferries versera à la collectivité de Corse une somme de 4 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société Corsica Ferries et à la collectivité de Corse.

 


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