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Publié le 03 Oct 2017

Précisions utiles sur les modalités d’appréciation de la condition d’urgence à suspendre l’exécution d’un contrat

CE 18 septembre 2017, M.AG…R, req.n°408894

Dans cette affaire, le Conseil d’Etat rappelle que les membres de l’organe délibérant d’une collectivité territoriale ou d’un groupement de collectivités territoriales qui a conclu un contrat administratif sont recevables à former devant le juge du contrat un recours en contestation de la validité de celui-ci et peuvent assortir ce recours d’une demande tendant à la suspension de son exécution sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative.

L’intérêt de l’arrêt ne réside pas dans ce rappel mais dans les précisions que le Conseil d’Etat apporte sur les modalités d’appréciation de la condition d’urgence à suspendre l’exécution d’un contrat dans le cadre d’un référé formé par des membres de l’assemblée délibérante de la personne publique contractante.

Les faits de l’espèce étaient les suivants : par une délibération du 15 décembre 2016, le conseil communautaire d’une communauté de communes a approuvé l’attributaire d’un marché de conception réalisation d’une piscine intercommunale et autorisé son président à signer le marché. Cet établissement public a par la suite fusionné avec deux autres établissements publics qui se sont vu transférés les droits et obligations de ce marché.

Plusieurs conseillers du nouveau conseil communautaire ont alors décidé de saisir le Tribunal administratif de Lyon d’un recours en contestation de la validité du contrat tout en introduisant parallèlement un référé tendant à la suspension de son exécution. Par une ordonnance du 27 février 2017, le juge du référé a rejeté leur demande au motif que la condition d’urgence n’était pas remplie.

En cassation, le Conseil d’Etat confirme l’ordonnance au regard des circonstances de l’espèce.

 

Règle n°1 : L’appréciation de la condition d’urgence s’apprécie in concreto

Le Conseil d’Etat rappelle tout d’abord la règle générale selon laquelle il appartient au juge des référés d’apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l’acte contesté sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l’exécution de la décision soit suspendue. L’urgence doit donc être appréciée objectivement compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’affaire.

Plus précisément, pour apprécier si la condition d’urgence est remplie dans le cadre d’un référé tendant à la suspension de l’exécution d’un contrat introduit par les membres d’un organe délibérant d’un pouvoir adjudicateur, le Conseil d’Etat rappelle que le juge du référé suspension doit prendre en compte tous éléments dont se prévalent les requérants qui sont de nature à caractériser une atteinte suffisamment grave et immédiate à leurs prérogatives ou aux conditions d’exercice de leur mandat, aux intérêts de la collectivité ou du groupement de collectivités publiques dont ils sont les élus ou, le cas échéant, à tout autre intérêt public.

 

Règle n°2: La preuve de l’urgence à suspendre l’exécution d’un contrat public

La condition d’urgence reste subordonnée à l’existence d’éléments de nature à établir la gravité et l’immédiateté des atteintes que l’exécution du contrat est susceptible de porter aux intérêts invoqués. Ainsi, lorsque le contrat a pour objet la construction d’un ouvrage public : il convient de démontrer que son exécution est susceptible de produire des effets irréversibles à brefs délais et d’une certaine ampleur pour qu’ils puissent être considérés comme constitutifs d’une situation d’urgence.

Le Conseil d’Etat considère ainsi qu’une atteinte suffisamment grave et immédiate aux intérêts défendus par les membres de l’organe délibérant d’une collectivité territoriale ou d’un groupement de collectivités territoriales est susceptible d’être caractérisée lorsque le coût des travaux qui font l’objet d’un marché public risque d’affecter de façon substantielle les finances de la collectivité ou du groupement concerné et que l’engagement des travaux est imminent et difficilement réversible.

Il appartient au requérant de démontrer qu’en cas d’exécution du contrat, le coût que représentera pour l’acheteur public la résolution ou la résiliation du contrat qui pourra être prononcée par le juge du contrat s’il fait droit à leur recours dans le cadre de l’instance au fond, sera tel qu’il est préférable de suspendre de suite son exécution. En d’autres termes, pour remplir la condition d’urgence, il est nécessaire de démontrer l’importance des conséquences financières de l’exécution du contrat même pendant la durée de l’instance contentieuse au fond.

Appliquant cette grille de lecture, le Conseil d’Etat considère qu’au cas présent, la condition de l’urgence n’est pas remplie dans la mesure où les requérants se bornaient à prétendre que le contrat a été conclu pour un montant supérieur d’environ 17 % à l’estimation initiale sans apporter d’élément concrets de nature à établir l’existence d’un risque pour les finances locales.

Par ailleurs, le Conseil d’Etat considère en l’espèce que la circonstance que le contrat ait été conclu par une communauté de communes avant que celle-ci ne fusionne, avec deux autres communautés de communes et que, par suite, cette dernière soit tenue d’exécuter un contrat sur lequel elle ne s’est pas prononcée, découle de l’application des règles relatives aux fusions d’établissements publics de coopération intercommunale et ne peut de ce fait être regardée comme portant une atteinte grave et immédiate aux intérêts défendus par les membres du conseil communautaire du nouvel établissements publics nés de cette fusion.

 

Règle n°3 : La condition d’urgence doit s’apprécier indépendamment des moyens relatifs à la validité du contrat contesté

Enfin, le Conseil d’Etat considère également qu’à supposer que le choix de recourir à un marché de conception-réalisation puisse être considéré comme illégal, une telle illégalité ne saurait être regardée, par elle-même, comme constitutive d’une situation d’urgence au sens de l’article L. 521 1 du code de justice administrative. En clair, les éventuelles irrégularités qui peuvent entacher la procédure de passation d’un contrat ne peuvent pas être invoquées au titre de l’urgence mais uniquement au titre de la condition tenant à l’existence d’un doute sérieux quant à la légalité du contrat.

Dans cet arrêt, le Conseil d’Etat rappelle que la condition d’urgence doit être appréciée uniquement au regard des conséquences de l’exécution du contrat dont la suspension est demandée et non au regard des éventuelles irrégularités qui peuvent entacher sa procédure de passation. Afin qu’un référé suspension puisse espérer prospérer, les requérants ont donc tout intérêts à bien distinguer dans leur requête les conclusions permettant de démontrer l’urgence à suspendre et les conclusions tendant à démontrer l’illégalité manifeste du contrat, ces dernières ne pouvant en aucun cas espérer justifier une quelconque urgence.

 

Conseil d’État
N° 408894
7ème – 2ème chambres réunies

Lecture du lundi 18 septembre 2017

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

 

Vu la procédure suivante :

  1. AG…R…, M. D…F…, M. S…Z…, M. AB…AC…, M. I…H…, M. AF…Y…, M. N…M…, M. J…T…, M. D…C…, M. E…O…, M. A…AE…, B…AD…AA…,B… W…U…, M. V…Q…, M. X…G…, M. P…L…et M. AG… K…ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Lyon d’ordonner, sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l’exécution du marché public de conception-réalisation passé par la communauté de communes Centre Dombes avec la société Citinea, mandataire commun d’un groupement d’entreprises, pour la restructuration de la piscine intercommunale de Villars-les-Dombes. Par une ordonnance n° 1701388 du 27 février 2017, le juge des référés du tribunal administratif de Lyon a rejeté leur demande.

Par un pourvoi sommaire, enregistré le 14 mars 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, M. AG…R…, M. D…F…, M. S…Z…, M. AB…AC…, M. I…H…, M. AF…Y…, M. N…M…, M. J… T…, M. D…C…, M. E…O…, M. A…AE…, B…AD…AA…, B…W…U…, M. V…Q…, M. X…G…, M. P…L…et M. AG…K…demandent au Conseil d’Etat d’annuler cette ordonnance.

Par un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 28 mars et 5 septembre 2017 au secrétariat du Conseil d’Etat, les requérants demandent au Conseil d’Etat :

1°) en ce qui concerne MM.Z…, AC…, M…, Q…, G…, L…, K…et B…U…, de leur donner acte de leur désistement d’instance ;

2°) en ce qui concerne les autres requérants, de statuer en référé après cassation, de faire droit à leur demande de première instance et de mettre à la charge de la communauté de communes de la Dombes, venant aux droits de la communauté de communes Centre Dombes, la somme de 4 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

– le code général des collectivités territoriales ;

– l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 ;

– le décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 ;

– le code de justice administrative ;

  1. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que la communauté de communes Centre Dombes a décidé d’attribuer, le 15 décembre 2016, à la société Citinea, mandataire commun d’un groupement d’entreprises, un marché public de conception-réalisation relatif à la restructuration de la piscine intercommunale de Villars-les-Dombes, pour un montant de 5 420 000,20 euros TTC ; que, par un arrêté du préfet de l’Ain du 1er décembre 2016, la communauté de communes Centre Dombes a été fusionnée avec deux autres communautés de communes pour constituer, à compter du 1er janvier 2017, la communauté de communes de la Dombes ; que cet arrêté prévoit que les biens, droits et obligations des communautés de communes fusionnées sont transférés à la communauté de communes issue de la fusion et que celle-ci leur est substituée pour l’exécution des contrats conclus antérieurement ; que, sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, M. AG…R…et seize autres conseillers communautaires de la communauté de communes de la Dombes ont saisi le juge des référés du tribunal administratif de Lyon, le 24 février 2017, d’une demande de suspension de l’exécution de ce marché public ; que, par une ordonnance du 27 février 2017, contre laquelle M. AG…R…et les autres demandeurs de première instance se pourvoient en cassation, le juge des référés du tribunal administratif de Lyon, statuant en application de l’article L. 522-3 du code de justice administrative, a rejeté cette demande ;

Sur les conclusions de MM.Z…, AC…, M…, Q…, G…, L…, K…et AH…B…U…tendant à ce qu’il soit donné acte de leur désistement d’instance :

  1. Considérant que le désistement d’instance de MM.Z…, AC…, M…, Q…, G…, L…, K…et AH…B…U…est pur et simple ; que rien ne s’oppose à ce qu’il en soit donné acte ;

Sur le pourvoi présenté par MM.R…, F…, H…, Y…, T…, C…, O…, AE…et B…AA…:

  1. Considérant qu’aux termes de l’article L. 521-1 du code de justice administrative : “ Quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision (…) “ ;
  2. Considérant que l’urgence justifie que soit prononcée la suspension de l’exécution d’un contrat administratif lorsque celle-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu’il entend défendre ; qu’il appartient au juge des référés d’apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l’acte contesté sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l’exécution de la décision soit suspendue ; que l’urgence doit être appréciée objectivement et compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’affaire ;
  3. Considérant qu’il résulte des énonciations de l’ordonnance attaquée que, pour juger qu’était impropre à caractériser une situation d’urgence le caractère imminent et difficilement réversible des travaux de réalisation de l’ouvrage faisant l’objet du marché, dont se prévalait les demandeurs, le juge des référés du tribunal administratif de Lyon s’est fondé sur la seule circonstance que ceux-ci contestaient les conditions dans lesquelles le marché avait été passé et non le principe même de la construction ; que, toutefois, ainsi qu’il a été dit au point 4, il appartient au juge des référés, lorsqu’il statue, dans le cadre fixé par l’article L. 521-1 du code de justice administrative, sur la condition tenant à l’urgence, d’apprécier si les effets de l’acte contesté sont de nature à caractériser une telle situation, indépendamment de l’examen des moyens soulevés devant lui pour établir l’existence d’un doute sérieux quant à la légalité de cet acte ; que le juge des référés a ainsi entaché son ordonnance d’erreur de droit ; que, par suite, les requérants sont fondés, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi, à en demander l’annulation ;
  4. Considérant que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu, en application de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l’affaire au titre de la procédure de référé engagée
  5. Considérant que les membres de l’organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales qui a conclu un contrat administratif, ou qui se trouve substitué à l’une des parties à un tel contrat, sont recevables à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité de celui-ci, dès lors que ce recours est exercé dans un délai de deux mois à compter de l’accomplissement des mesures de publicité appropriées relatives à sa conclusion, et peuvent l’assortir d’une demande tendant, sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, à la suspension de son exécution ; que, pour apprécier si la condition d’urgence est remplie, le juge des référés peut prendre en compte tous éléments, dont se prévalent ces requérants, de nature à caractériser une atteinte suffisamment grave et immédiate à leurs prérogatives ou aux conditions d’exercice de leur mandat, aux intérêts de la collectivité ou du groupement de collectivités publiques dont ils sont les élus ou, le cas échéant, à tout autre intérêt public ;

     

  6. Considérant que si une atteinte suffisamment grave et immédiate aux intérêts défendus par les membres de l’organe délibérant d’une collectivité territoriale ou d’un groupement de collectivités territoriales est susceptible d’être caractérisée lorsque le coût des travaux qui font l’objet d’un marché public risque d’affecter de façon substantielle les finances de la collectivité ou du groupement concerné et que l’engagement des travaux est imminent et difficilement réversible, les requérants, qui se bornent à observer que le contrat a été conclu pour un montant supérieur d’environ 17 % à l’estimation initiale, n’apportent aucun élément de nature à établir l’existence d’un tel risque ; que, par ailleurs, la circonstance que le contrat ait été conclu par la communauté de communes Centre Dombes avant que celle-ci ne fusionne, avec deux autres communautés de communes, au sein de la communauté de communes de la Dombes, et que, par suite, cette dernière soit tenue d’exécuter un contrat sur lequel elle ne s’est pas prononcée, découle de l’application des règles relatives aux fusions d’établissements publics de coopération intercommunale et ne saurait, dès lors, être regardée comme portant une atteinte grave et immédiate aux intérêts défendus par les membres du conseil communautaire de la communauté de communes de la Dombes ; qu’enfin, à supposer que le choix de recourir à un marché de conception-réalisation ait été en l’espèce illégal, une telle illégalité ne saurait être regardée, par elle-même, comme constitutive d’une situation d’urgence au sens de l’article L. 521 1 du code de justice administrative ;

  7. Considérant qu’il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur l’existence de moyens propres à susciter un doute sérieux quant à la légalité de l’acte attaqué, que la demande de M. R…et autres doit être rejetée ;
  8. Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise, à ce titre, à la charge de la communauté de communes de la Dombes, qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante ; qu’il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de MM.R…, F…, H…, Y…, T…, C…, O…, AE…et AH…B…AA…la somme globale de 3 000 euros à verser à la communauté de communes de la Dombes au titre des mêmes dispositions ;

 

D E C I D E :

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Article1er : Il est donné acte du désistement d’instance de MM.Z…, AC…, M…, Q…, G…, L…, K…et AH…B…U….
Article 2 : L’ordonnance du 27 février 2017 du tribunal administratif de Lyon est annulée.
Article 3 : La demande de M. R…et autres ainsi que leurs conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : M. AG…R…, M. D…F…, M. I…H…, M. AF…Y…, M. J…T…, M. D…C…, M. E…O…, M. A…AE…et B…AD…AA…verseront à la communauté de communes de la Dombes une somme globale de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. AG…R…, représentant unique, pour l’ensemble des requérants, ainsi qu’à la communauté de communes de la Dombes.

 

Référé tendant à la suspension de l’exécution d’un contrat introduit par les membres de l’organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales…. ,,Pour apprécier si la condition d’urgence est remplie, le juge des référés peut prendre en compte tous éléments dont se prévalent ces requérants de nature à caractériser une atteinte suffisamment grave et immédiate à leurs prérogatives ou aux conditions d’exercice de leur mandat, aux intérêts de la collectivité ou du groupement de collectivités publiques dont ils sont les élus ou, le cas échéant, à tout autre intérêt public.

 


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