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Publié le 20 Nov 2019

Nouvelles précisions jurisprudentielles sur la définition d’une offre irrégulière

CE 4 octobre 2019, SMIDDEV, req. n°421022

Le Conseil d’État apporte des précisions sur le périmètre du caractère incomplet d’une offre en considérant qu’une offre d’un candidat qui ne comporte pas un agrément préfectoral nécessaire pour l’exécution des prestations du marché mais non exigée par le règlement de la consultation  ne permet pas de déclarer l’offre irrégulière.

Enseignement n°1 : Rappel du périmètre d’une offre incomplète

Le Conseil d’État a déjà eu l’occasion de rappeler que le pouvoir adjudicateur ne peut pas attribuer un marché à un candidat dont l’offre ne satisfait pas aux prescriptions du règlement de la consultation (v° par ex : CE 23 nov. 2005, Sté Axialogic, req. n°267494 ; CE 23 mai 2011, Cne d’Ajaccio, req. n°339406).

Confronté à une offre incomplète ou une offre irrégulière, le pouvoir adjudicateur est tenu de l’éliminer sauf cas de régularisation possible (v° par ex : CE 12 janv. 2011, Département du Doubs, req. n°343324).

Enseignement n°2 : L’absence d’un agrément non exigé par le règlement de la consultation n’entraîne pas l’incomplétude de l’offre

 

Dans son arrêt du 4 octobre 2019, le Conseil d’État précise que l’offre d’un candidat qui ne comporte pas un agrément préfectoral nécessaire pour le traitement des déchets d’emballage non ménagers ne permet pas de déclarer l’offre irrégulière dès lors que cette exigence n’est pas expressément prévue par le règlement de la consultation.

En effet, le Conseil d’État affirme, après examen du règlement de la consultation que l’agrément préfectoral devait « être mentionné dans le “mémoire de justificatif, mais n’apparaissait pas parmi la liste des pièces expressément citées à l’article 6.1 de ce règlement comme devant être obligatoirement jointes à l’offre ».

Dans ce cas de figure, le Conseil d’État estime que le pouvoir adjudicateur pouvait donc valablement demander au candidat « de produire ce document postérieurement à la date limite de remise des offres ». Il ne s’agit donc pas d’une régularisation d’une offre incomplète ni d’une modification substantielle interdite de l’offre.

 


CE 4 octobre 2019, SMIDDEV, req. n°421022

La Société moderne d’assainissement et de nettoiement (SMA), aux droits de laquelle vient la société Valéor, a demandé au tribunal administratif de Toulon d’annuler le marché conclu entre le Syndicat mixte du développement durable de l’Est-Var pour le traitement et la valorisation des déchets ménagers (SMIDDEV) et la société Ehol, et de condamner ce syndicat à lui verser la somme de 2 167 072 euros, assortie des intérêts aux taux légal ainsi que de leur capitalisation. Par un jugement avant dire droit n° 1303270 du 31 mai 2016, le tribunal administratif de Toulon a annulé ce marché à compter du 31 août 2016, rejeté les conclusions de la société Valéor tendant au paiement d’une indemnité au titre des frais sociaux et ordonné une expertise sur le surplus des conclusions indemnitaires.

Par un arrêt n° 16MA03136 du 30 mars 2018, la cour administrative d’appel de Marseille a rejeté l’appel formé par le SMIDDEV contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire et un pourvoi complémentaire, enregistrés les 29 mai et 22 août 2018 au secrétariat du Conseil d’Etat, le SMIDDEV demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler cet arrêt ;

2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de la société Valéor la somme de 5 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

  1. Il résulte des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le SMIDDEV a conclu, le 25 juillet 2013, avec la société Ehol un marché ayant pour objet le ” tri-conditionnement de matériaux de collectes sélectives “. A la demande de la société SMA, aux droits de laquelle vient la société Valeor, candidate évincée, le tribunal administratif de Toulon a, par un jugement avant dire-droit du 31 mai 2016, annulé ce marché et, après avoir estimé que cette société avait perdu une chance sérieuse d’obtenir le marché et rejeté une partie de ses conclusions indemnitaires, diligenté une expertise avant de statuer sur le surplus de celles-ci. Par un arrêt du 30 mars 2018, contre lequel le SMIDDEV se pourvoit en cassation, la cour administrative de Marseille a rejeté l’appel qu’il avait formé contre ce jugement.
  2. Il appartient au juge du contrat, lorsqu’il constate l’existence de vices entachant la validité du contrat, d’en apprécier l’importance et les conséquences. Ainsi, il lui revient, après avoir pris en considération la nature de ces vices, soit de décider que la poursuite de l’exécution du contrat est possible, soit d’inviter les parties à prendre des mesures de régularisation dans un délai qu’il fixe, sauf à résilier ou résoudre le contrat. En présence d’irrégularités qui ne peuvent être couvertes par une mesure de régularisation et qui ne permettent pas la poursuite de l’exécution du contrat, il lui revient de prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l’intérêt général, soit la résiliation du contrat, soit, si le contrat a un contenu illicite ou s’il se trouve affecté d’un vice de consentement ou de tout autre vice d’une particulière gravité que le juge doit ainsi relever d’office, l’annulation totale ou partielle de celui-ci. Il peut enfin, s’il en est saisi, faire droit, y compris lorsqu’il invite les parties à prendre des mesures de régularisation, à des conclusions tendant à l’indemnisation du préjudice découlant de l’atteinte à des droits lésés.
  3. En premier lieu, il ressort des énonciations de l’arrêt attaqué qu’après avoir cité les dispositions de l’article 35 du code des marchés publics qui donnent une définition de l’offre irrégulière puis celles de l’article 53 du même code qui prévoient qu’une offre irrégulière est éliminée, la cour s’est fondée sur les dispositions de l’article 6.1 et 6.2 du règlement de consultation pour retenir que l’offre de la société Ehol, attributaire du marché en litige, présentait un caractère incomplet et aurait donc dû être éliminée, au motif que le dossier déposé avant la date limite de remise des offres ne comportait pas l’agrément préfectoral pour le traitement des déchets d’emballage non ménagers, cette pièce ayant été produite postérieurement à cette date limite, à la demande du pouvoir adjudicateur. Toutefois, cette pièce était citée dans l’article 6.2 du règlement de consultation comme devant être mentionnée dans le ” mémoire de justificatif “, mais n’apparaissait pas parmi la liste des pièces expressément citées à l’article 6.1 de ce règlement comme devant être obligatoirement jointes à l’offre. Ainsi en demandant à la société Ehol, qui avait mentionné cet agrément dans son ” mémoire de justificatif “, de produire ce document postérieurement à la date limite de remise des offres, le pouvoir adjudicateur s’est borné à faire application des dispositions du règlement de consultation, sans permettre à la société Ehol de régulariser une offre incomplète ni de modifier la teneur de celle-ci et sans favoriser cette société au détriment de l’autre candidat. Par suite, le SMIDDEV est fondé à soutenir que la cour a dénaturé les pièces du dossier et commis une erreur de qualification juridique en estimant que l’offre de la société Ehol présentait un caractère incomplet au regard du règlement de consultation. 
  4. En second lieu, il ressort des énonciations de son arrêt que la cour administrative d’appel de Marseille a jugé que les vices tirés, d’une part, de l’irrégularité de l’offre présentée par la société Ehol et, d’autre part, de la méconnaissance du principe d’intangibilité de l’offre par cette dernière étaient ” eu égard à leur nature et à leurs conséquences sur le choix de l’attributaire du marché “, pris ” séparément et à plus forte raison ensemble “, propres à justifier l’annulation du marché en litige. En statuant ainsi sans rechercher, d’une part, si les vices retenus présentaient un caractère d’une particulière gravité justifiant l’annulation du marché ni, d’autre part, si cette annulation n’était pas de nature à porter une atteinte excessive à l’intérêt général, la cour a commis une erreur de droit et insuffisamment motivé son arrêt.
  5. Il résulte de ce tout ce qui précède, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi, que le SMIDDEV est fondé à demander l’annulation de l’arrêt qu’il attaque.
  6. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la société Valéor une somme de 3 000 euros à verser au SMIDDEV sur le fondement de l’article L. 761 1 du code de justice administrative. En revanche, ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge du SMIDDEV qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

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Article 1er : L’arrêt du 30 mars 2018 de la cour administrative d’appel de Marseille est annulé.
Article 2 : L’affaire est renvoyée à la cour administrative d’appel de Marseille.
Article 3 : La société Valéor versera au SMIDDEV la somme de 3 000 euros sur le fondement l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Les conclusions présentées au même titre par la société Valéor sont rejetées.

 


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