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Publié le 24 Mai 2019

Lorsque « concessionnaire d’autoroute » ne rime pas nécessairement avec « pouvoir adjudicateur » !

CE 30 avril 2019, Société Total Marketing France, req. n°426698

 C’est une affaire complexe qui a été soumise au contrôle de la plus haute juridiction administrative. Au terme d’un contrat de sous-concession relatif aux activités de boutiques et de restauration d’une aire de services de l’autoroute A6, la société Total, ancien titulaire, n’a pas présenté d’offre à la Société des autoroutes Paris-Rhin-Rhône [APRR], estimant que la procédure de passation illégale. Ayant saisi en ce sens le juge administratif d’un référé précontractuel, Total a été débouté de ses demandes. Partant, la société requérante a demandé au Conseil d’État d’annuler l’ordonnance de référé, et de faire droit à ses conclusions présentées en première instance. Ainsi, cette décision attire notre attention sur deux éléments pertinents :  la compétence du juge administratif en cas de contrat portant occupation du domaine public et l’identification d’un pouvoir adjudicateur conditionnant la compétence du juge du référé précontractuel

Enseignement n°1 : la compétence évidente de la juridiction administrative en cas de contrat portant occupation du domaine public signé par un concessionnaire de service public

 La première question que s’est nécessairement posée le juge administratif est celle de sa propre compétence pour régler le litige. Ce sont les dispositions de l’article L. 2331-1 du Code général de la propriété des personnes publiques qui apportent une réponse claire et précise. Étant entendu que le contrat litigieux porte occupation du domaine public et qu’il est signé entre un concessionnaire de service public – d’autoroute en l’espèce – et un opérateur économique, le contentieux tombe sous la compétence évidente de la juridiction administrative (CE, avis, 16 mai 2002, n°366305, EDCE, 2003, p. 201). Comme l’a rappelé pédagogiquement la rapporteure publique Mireille Le Corre, si un contrat portant occupation du domaine public avait été signé par deux personnes privées, sans qu’il y ait présence d’un concessionnaire de service public, le contentieux aurait été réglé par le juge judiciaire (TC, 14 mai 2012, Mme G., req. n°3836).

Enseignement n°2 : la société concessionnaire d’autoroute n’est pas nécessairement un pouvoir adjudicateur et ferme ainsi la voie du référé précontractuel au sens du CJA

En première instance, la société requérante a introduit, conformément aux dispositions de l’article L. 551-1 du code de justice administrative, un référé précontractuel pour demander l’annulation de la procédure de passation dont elle alléguait l’illégalité. Cet article est tout à fait explicite et réserve les cas d’ouverture de cette action contentieuse en fonction du contrat, de la qualité du requérant, mais également de l’autorité à l’initiative de la procédure litigieuse. En ce qui concerne le contrat, les dispositions de l’article susvisés sont évidentes : le contrat de concession de service peut être déféré au contrôle de juge du référé précontractuel. Du côté du requérant, seront recevables à former un tel recours les candidats évincés – ou n’ayant pas été en mesure de candidater – lorsque sont en cause des irrégularités relatives aux procédures de publicité et de mise en concurrence qui les ont lésé ou susceptible de l’avoir fait (CE, Sect., 3 octobre 2008, Smirgeomes, req. n°305420). Du point de vue de l’autorité à l’origine du lancement de la procédure de passation, la règlementation en vigueur est elle aussi explicite. Précisément, ne peuvent être contestées par la voie du référé précontractuel que les procédures de passation à l’initiative d’un pouvoir adjudicateur ou d’une entité adjudicatrice.

À première vue, le réflexe est de considérer l’autorité concessionnaire d’autoroute comme un pouvoir adjudicateur et ainsi ouvrir la voie du référé précontractuel. Pourtant, ce n’est pas ce qu’ont décidé les magistrats du Palais-Royal. Suivant les conclusions de la rapporteure publique, une démarche pédagogique a été adoptée. Point par point, les magistrats ont démontré que le référé précontractuel n’aurait pas dû être ouvert en l’espèce.

En effet, après avoir démontré que le critère matériel (relatif à la nature du contrat en cause) ne posait aucune difficulté, encore fallait-il que le critère organique (relatif à la nature du concessionnaire) soit lui aussi rempli. À ce titre, il n’existe pas de règle absolue qui déterminerait systématiquement la nature du concessionnaire. C’est l’ordonnance du 29 janvier 2016 relative aux concessions en son article 9 qui fixe les critères pour que le concessionnaire soit considéré comme étant un pouvoir adjudicateur : « personnes morales de droit privé qui ont été créées pour satisfaire spécifiquement des besoins d’intérêt général ayant un caractère autre qu’industriel ou commercial, dont : a) Soit l’activité est financée majoritairement par un pouvoir adjudicateur ; b) Soit la gestion est soumise à un contrôle par un pouvoir adjudicateur; c) Soit l’organe d’administration, de direction ou de surveillance est composé de membres dont plus de la moitié sont désignés par un pouvoir adjudicateur ».

En l’espèce, le Conseil d’État a considéré que l’APRR ne remplissait pas le a), le b) ni le c). Par voie de conséquence, l’accès au prétoire du juge du référé précontractuel aurait dû être fermé pour la société requérante.

Enseignement n°3 : les dispositions spécifiques du code de la voirie routière étendant l’accès au référé précontractuel ne s’appliquent pas pour les installations annexes sur les autoroutes

En l’espèce, par un jeu de renvoi, le juge du référé précontractuel aurait pu retrouver sa compétence. Ainsi, le code de la voirie routière, créé par la loi du 6 août 2015 et modifié, ensuite, par la loi du 9 décembre 2016 étend les possibilités d’accès à cette voie de droit certainement pour unifier de nouveau le contentieux sous l’office du juge administratif. Cependant, les dispositions de l’article L. 122-20 du code de la voirie routière a été compris par le juge comme ne concernant pas les parties annexes de l’autoroute.

Par voie de conséquence, après que la reconnaissance de l’APRR comme pouvoir adjudicateur ait été écartée et que le jeu de renvoi par le code de la voirie routière ne fonctionne pas non plus et la société requérante n’aurait pas dû être en mesure de former un référé précontractuel.

 


CE, 30 avril 2019, Société Total Marketing France, req. n°426698

Considérant ce qui suit :

  1. Il ressort des énonciations de l’ordonnance attaquée que, par un avis d’appel public à la concurrence publié le 14 juin 2018, la société des autoroutes Paris-Rhin-Rhône (APRR) a lancé une consultation en vue du renouvellement du contrat d’occupation du domaine public autoroutier concédé en vue de l’exercice d’activités de boutique et de restauration sur l’aire de service de Dracé et, à titre accessoire, l’exécution d’un mandat de commercialisation des carburants. La société Total Marketing France, qui a été admise à présenter sa candidature mais n’a pas présenté d’offre, se pourvoit en cassation contre l’ordonnance du 14 décembre 2018 par laquelle le juge du référé du tribunal administratif de Dijon, saisi sur le fondement de l’article L. 551-1 du code de justice administrative, a rejeté sa demande d’annulation de la procédure de passation de ce contrat.

Sur la compétence de la juridiction administrative :

  1. Aux termes de l’article L. 2331-1 du code général de la propriété des personnes publiques : ” Sont portés devant la juridiction administrative les litiges relatifs : 1° Aux autorisations ou contrats comportant occupation du domaine public, quelle que soit leur forme ou dénomination, accordées ou conclus par les personnes publiques ou leurs concessionnaires “. Il résulte de ces dispositions que les litiges relatifs aux contrats comportant occupation du domaine public conclus par les concessionnaires du service public autoroutier relèvent de la compétence de la juridiction administrative. Le juge administratif est, par suite, compétent pour connaître du présent litige, qui concerne la conclusion, par une société concessionnaire d’autoroutes, d’un contrat comportant occupation du domaine public autoroutier.

Sur la saisine du juge du référé précontractuel :

  1. D’une part, aux termes de l’article L. 551-1 du code de justice administrative : ” Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu’il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l’exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d’exploitation, la délégation d’un service public ou la sélection d’un actionnaire opérateur économique d’une société d’économie mixte à opération unique. / Il peut également être saisi en cas de manquement aux mêmes obligations auxquelles sont soumises, en application de l’article L. 521-20 du code de l’énergie, la sélection de l’actionnaire opérateur d’une société d’économie mixte hydroélectrique et la désignation de l’attributaire de la concession. / Le juge est saisi avant la conclusion du contrat “. Aux termes de l’article L. 551-2 du même code : ” Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu’il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les entités adjudicatrices de contrats administratifs ayant pour objet l’exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d’exploitation, la délégation d’un service public ou la sélection d’un actionnaire opérateur économique d’une société d’économie mixte à opération unique. / Le juge est saisi avant la conclusion du contrat “.
  2. La notion de pouvoir adjudicateur est définie à l’article 9 de l’ordonnance du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession, alors applicable, ratifiée par la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique. Aux termes de ces dispositions, sont des pouvoirs adjudicateurs, outre les personnes publiques et certains organismes de droit privé constitués par des pouvoirs adjudicateurs, les ” personnes morales de droit privé qui ont été créées pour satisfaire spécifiquement des besoins d’intérêt général ayant un caractère autre qu’industriel ou commercial, dont : a) Soit l’activité est financée majoritairement par un pouvoir adjudicateur ; b) Soit la gestion est soumise à un contrôle par un pouvoir adjudicateur; c) Soit l’organe d’administration, de direction ou de surveillance est composé de membres dont plus de la moitié sont désignés par un pouvoir adjudicateur “. Si les missions de construction, d’entretien et d’exploitation des autoroutes dont sont chargées à titre principal les sociétés d’autoroutes visent à satisfaire des besoins d’intérêt général au sens des dispositions qui précèdent, la société APRR, qui est une société concessionnaire d’autoroutes à capitaux majoritairement privés, ne répond à aucune des conditions mentionnées aux a, b et c de l’article 9 de l’ordonnance de 2016. Elle ne peut, par suite, être regardée comme un pouvoir adjudicateur ni, en tout état de cause, comme une entité adjudicatrice, ce dont il découle que le juge du référé précontractuel n’est pas compétent pour connaître du contrat litigieux par application des articles L. 551-1 et L. 551-2 du code de justice administrative.
  3. D’autre part, il appartient au seul législateur, en vertu des dispositions de l’article 34 de la Constitution selon lesquelles la loi détermine les principes fondamentaux des obligations civiles et commerciales, de rendre applicable à des contrats passés par des personnes privées le recours au juge du référé précontractuel. Ainsi, aux termes de l’article L. 122-20 du code de la voirie routière, applicable aux marchés de travaux, fournitures ou services passé par un concessionnaire d’autoroute pour les besoins de la concession : ” En cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation des marchés de travaux, fournitures ou services, il est fait application : 1° Pour les marchés soumis aux règles du droit public, des sous-sections 1 et 3 de la section 1 et de la section 2 du chapitre Ier du titre V du livre V du code de justice administrative “.
  4. Mais, si l’article L. 122-20 du code de la voirie routière, issu de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, a ainsi étendu la compétence du juge du référé précontractuel aux marchés publics de travaux, fournitures ou services passés par les sociétés concessionnaires d’autoroute, dont la passation a été soumise par cette loi à des règles de procédure, aucune disposition législative n’a étendu cette compétence aux contrats, tel celui de l’espèce, d’exploitation des installations annexes passés par les sociétés concessionnaires d’autoroute, lorsque ces sociétés n’ont ni la qualité de pouvoir adjudicateur ni celle d’entité adjudicatrice, alors même que la loi du 6 août 2015 a soumis la passation de ces contrats à des règles de procédure.
  5. Par suite, la société Total Marketing France n’était pas recevable à saisir le juge du référé précontractuel de manquements, imputés à la société APRR, aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles était soumise la passation du contrat d’exploitation de l’aire de service de Dracé, alors même, d’une part, qu’en vertu de l’article R. 122-41 du code de la voirie routière, le concessionnaire d’autoroute est assimilé à un pouvoir adjudicateur pour l’application du décret du 1er février 2016 relatif aux contrats de concession et, d’autre part, que l’avis de concession publié par la société APRR mentionnait que ce contrat pouvait faire l’objet d’un référé précontractuel. Ce motif, qui justifie légalement le dispositif de l’ordonnance attaquée et n’appelle l’appréciation d’aucune circonstance de fait, doit être substitué aux motifs retenus par le juge des référés du tribunal administratif de Dijon.
  6. Il résulte de ce qui précède que le pourvoi de la société Total Marketing France doit être rejeté, y compris ses conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre une somme à la charge de la société Total Marketing France au titre du même article.

D E C I D E :

Article 1er : Le pourvoi de la société Total Marketing France est rejeté.
Article 2 : Les conclusions présentées par la société des autoroutes Paris-Rhin-Rhône au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société Total Marketing France et à la société des autoroutes Paris-Rhin-Rhône.

 

 


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