Tél : 01 42 22 09 18
Fax : 01 42 22 10 03
Publié le 01 Déc 2016

L’offre d’une entreprise en redressement judiciaire qui n’a pas fourni les jugements est-elle irrégulière ?

CAA Bordeaux, 1er décembre 2016, Société entreprise du bâtiment DUS, n°14BX01718

Dans le cadre d’une procédure adaptée en vue de l’attribution d’un marché de travaux, une entreprise qui avait été placée en redressement judiciaire et autorisée à poursuivre son activité, avant qu’un plan de redressement ne soit arrêté par un jugement, a vu son offre écartée. Elle a alors saisi le tribunal administratif de Bordeaux d’une demande d’indemnisation, qui a été rejetée. Saisie en appel, la Cour administrative d’appel de Bordeaux retient que l’entreprise aurait dû indiquer qu’elle était en redressement judiciaire et produire les jugements relatifs à cette procédure. En conséquence, elle estime que son offre était irrégulière et que la requérante n’avait donc aucune chance de remporter le marché. La Cour rejette donc la demande d’indemnisation. Cet arrêt rappelle certaines évidences, mais nous paraît critiquable sur d’autres points.

Règle n°1 : Même s’il a été autorisé à poursuivre son activité et bénéficie d’un plan de redressement, le candidat en redressement judiciaire doit produire les jugements prononcés
En l’espèce, la société requérante n’avait pas indiqué, au stade de la candidature, qu’elle était en redressement judiciaire et n’avait pas produit la copie du jugement arrêtant le plan de redressement. Elle estimait qu’elle n’avait pas à le faire car, d’une part, le jugement arrêtant le plan de redressement aurait, selon elle, mis fin à la procédure de redressement judiciaire et, d’autre part, elle faisait valoir qu’elle avait été autorisée à poursuivre son activité. La Cour administrative d’appel rejette ce raisonnement. Rappelant qu’aux termes des dispositions combinées de l’article 8 de l’ordonnance n°2005-649 du 6 juin 2005 et de l’article 43 de l’ancien Code des marchés publics, applicables en l’espèce, les personnes admises au redressement judiciaire doivent justifier qu’elles ont été habilitées à poursuivre leur activité pendant la durée prévisible d’exécution du marché, ainsi que les dispositions de l’article 44 l’ancien Code des marchés publics, selon lesquelles le candidat produit à l’appui de sa candidature la copie des jugements prononcés s’il est en redressement judiciaire, la Cour retient que l’entreprise requérante aurait dû produire une copie du jugement arrêtant le plan de redressement. Cette obligation résulte, selon la Cour, de l’obligation pour le pouvoir adjudicateur de vérifier les capacités de l’entreprise à exécuter le marché pour s’assurer de la recevabilité de la candidature.

Règle n°2 : L’offre d’une entreprise en redressement judiciaire qui n’a pas indiqué qu’elle faisait l’objet de cette procédure et n’a pas produit les jugements est irrégulière
La Cour estime que la candidature de l’entreprise évincée étant incomplète, son offre est irrégulière. Son raisonnement nous semble critiquable sur ce point. En effet, aux termes de l’article 35 de l’ancien Code des marchés publics : « Une offre irrégulière est une offre qui, tout en apportant une réponse au besoin du pouvoir adjudicateur, est incomplète ou ne respecte pas les exigences formulées dans l’avis d’appel public à la concurrence ou dans les documents de la consultation ». A notre sens, il résulte de cette disposition que l’offre est irrégulière lorsque c’est l’offre elle-même qui est incomplète. Or, en l’espèce, c’est la candidature qui était incomplète et non l’offre. L’offre de l’entreprise ne nous paraît donc pas irrégulière du fait qu’elle n’a pas indiqué qu’elle était en redressement judiciaire et qu’elle n’a pas produit les jugements relatifs à cette procédure.

Règle n°3 : L’entreprise ayant présenté une offre irrégulière ne peut prétendre à aucune indemnisation du fait de son éviction
Enfin, la Cour retient que l’offre étant irrégulière, le pouvoir adjudicateur était tenu de l’écarter. Elle juge qu’en conséquence, la société requérante était dépourvue de toute chance de remporter le marché et qu’elle ne pouvait donc prétendre à aucune indemnisation du fait de son éviction.

CAA de BORDEAUX
N° 14BX01718    
Inédit au recueil Lebon
4ème chambre – formation à 3
M. POUZOULET, président
Mme Marianne POUGET, rapporteur
Mme MUNOZ-PAUZIES, rapporteur public
CABINET PALMIER & ASSOCIES, avocat

lecture du jeudi 1 décembre 2016

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Texte intégraL

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société entreprise du bâtiment Dus a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner la communauté de communes du Bazadais à lui verser une somme de 135 346,72 euros hors taxe au titre du préjudice qu’elle estime avoir subi du fait de son éviction du marché attribué par la communauté de communes à la société SNB Dupiol.

Par un jugement n° 1202695 du 16 avril 2014, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 11 juin 2014, 29 décembre 2015 et 21 janvier 2016, la société entreprise du bâtiment Dus, représentée par MeB…, demande à la cour :

1°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 16 avril 2014 ;

2°) de condamner la communauté de communes du Bazadais à lui verser une indemnité de 135 346,72 euros hors taxe ;

3°) de mettre à la charge de la communauté de communes du Bazadais la somme de 5 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

——————————————————————————————————

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– le code du commerce ;
– le code des marchés publics ;
– l’ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au code des marchés publics ;
– le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :
– le rapport de Mme Marianne Pouget,
– les conclusions de Mme Frédérique Munoz-Pauziès, rapporteur public,
– et les observations de MeA…, représentant la société Entreprise du bâtiment Dus, et de MeC…, représentant la communauté de commune du Bazadais.

Considérant ce qui suit :

1. La communauté de communes du Bazadais a engagé une procédure adaptée en vue de l’attribution d’un marché portant sur la réalisation de travaux de modernisation et d’extension de l’abattoir de Bazas et la création d’un atelier de découpe de viandes décomposé en dix-sept lots. Par un courrier du 16 novembre 2011, la société entreprise du bâtiment Dus a été informée du rejet de son offre portant sur le lot n°2 ” Gros oeuvre ” et de l’attribution du lot à la société Dupiol. La société entreprise du bâtiment Dus a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner la communauté de communes du Bazadais à l’indemniser du préjudice qu’elle estime avoir subi du fait de son éviction irrégulière. Par un jugement du 16 avril 2014, le tribunal administratif, même s’il a estimé que la communauté de communes du Bazadais avait commis un manquement à ses obligations de mise en concurrence des candidats, a néanmoins rejeté sa demande indemnitaire au motif que l’offre de la société était irrégulière et qu’ainsi cette dernière était dépourvue de toute chance de remporter le marché. La société entreprise du bâtiment Dus relève appel de ce jugement.

2. La société soutient que les premiers juges ont à tort estimé qu’elle aurait dû joindre au dossier de sa candidature le jugement du tribunal de commerce d’Agen du 21 juillet 2011 qui avait arrêté le plan de redressement la concernant : selon elle, cette décision marque la fin du redressement judiciaire.

3. Aux termes du 3° de l’article 8 de l’ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 : ” Ne peuvent soumissionner à un marché passé par un pouvoir adjudicateur : (…) Les personnes soumises à la procédure de liquidation judiciaire prévue à l’article L. 640-1 du code de commerce (…) Les personnes admises à la procédure de redressement judiciaire instituée par l’article L. 631-1 du code de commerce (….) doivent justifier qu’elles ont été habilitées à poursuivre leurs activités pendant la durée prévisible d’exécution du marché “. L’article 38 de la même ordonnance prévoit l’application de cette disposition à l’ensemble des marchés publics. Aux termes de l’article 43 du code des marchés publics applicable aux faits du litige : ” Les interdictions de soumissionner aux marchés et accords-cadres soumis au présent code s’appliquent conformément aux dispositions de l’article 38 de l’ordonnance du 6 juin 2005 (..) “. L’article 52 du même code prévoit que ” (…) Les candidats qui ne peuvent soumissionner à un marché en application des dispositions de l’article 43 (…) ne sont pas admis à participer à la suite de la procédure de passation du marché “. Aux termes du I de l’article 44 : ” Le candidat produit à l’appui de sa candidature : / 1° La copie du ou des jugements prononcés, s’il est en redressement judiciaire ; / 2° Une déclaration sur l’honneur pour justifier qu’il n’entre dans aucun des cas mentionnés à l’article 43 ; / 3° Les documents et renseignements demandés par le pouvoir adjudicateur dans les conditions fixées à l’article 45 “. Aux termes de l’article 3.3 du règlement de la consultation du marché en litige : ” ” Les offres seront rédigées en langue française, seront remises et comprendront les pièces particulières (…) / Lettre de candidature (DC1) / Déclaration du candidat (DC2 et NOTI 1) / Déclaration sur l’honneur conformément aux articles 44 et 46 du code des marchés publics (…) “.

4. Aux termes de l’article L. 631-1 du code de commerce : ” Il est institué une procédure de redressement judiciaire ouverte à tout débiteur mentionné aux articles L. 631-2 ou L. 631-3 qui, dans l’impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible, est en cessation des paiements (…). La procédure de redressement judiciaire est destinée à permettre la poursuite de l’activité de l’entreprise, le maintien de l’emploi et l’apurement du passif. Elle donne lieu à un plan arrêté par jugement à l’issue d’une période d’observation (…) “. En vertu de cet article et des autres dispositions du titre III ” Redressement judiciaire ” du livre VI du code de commerce, notamment des articles R. 631-32 à R. 631-36, le plan de redressement est au nombre des modalités du redressement judiciaire d’une entreprise en difficulté. L’article R. 631-43 du même code prévoit d’ailleurs que la clôture de la procédure judiciaire au terme de l’exécution du plan de redressement est prononcée par une ordonnance du président du tribunal de commerce.

5. Il résulte des dispositions précitées du code des marchés publics qu’il incombe au pouvoir adjudicateur de vérifier les capacités de l’entreprise placée en redressement judiciaire à exécuter le marché compte tenu de son placement dans cette situation pour s’assurer de la recevabilité de sa candidature. Une entreprise placée en redressement judiciaire est ainsi tenue de justifier, lors du dépôt de son offre, qu’elle est habilitée, par le jugement prononçant son placement dans cette situation, à poursuivre ses activités pendant la durée d’exécution du marché, telle qu’elle ressort des documents de la consultation.

6. Cette obligation incombe à l’entreprise y compris lorsqu’elle fait l’objet d’un plan de redressement. Même si l’entreprise est alors admise, sous certaines conditions, à poursuivre son activité en dépit de sa situation débitrice, le pouvoir adjudicateur doit néanmoins pouvoir s’assurer de son aptitude à exécuter le marché proposé alors que l’entreprise est encore soumise au plan de redressement.

7. Il résulte de l’instruction que par un jugement du 8 septembre 2010, le tribunal de commerce d’Agen a prononcé le redressement judiciaire de la société Entreprise de Bâtiment Dus et autorisé celle-ci à poursuivre son activité après avoir ordonné une période d’observation de six mois qui a été renouvelée jusqu’au 1er septembre 2011. Par un jugement du 21 juillet 2011, le tribunal de commerce d’Agen a arrêté un plan de redressement.

8. Il appartenait ainsi à la société Entreprise de Bâtiment Dus de joindre à son offre une copie du jugement arrêtant le plan de redressement. Il est constant que la société requérante, qui a indiqué à tort dans le formulaire de déclaration de candidature qu’elle avait rempli qu’elle ne faisait pas l’objet d’une procédure de redressement judiciaire, n’a pas produit ce jugement avec son dossier de candidature. Par suite, le dossier de candidature de la société était incomplet et le pouvoir adjudicateur aurait été tenu d’écarter son offre qui était irrégulière.

9. Dès lors, la société Entreprise de bâtiment Dus était en tout état de cause dépourvue de toute chance de remporter le marché. Par suite, la société ne peut prétendre à aucune indemnisation du fait de son éviction.
10. Il résulte de tout ce qui précède que la société requérante n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

11. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’il soit fait droit aux conclusions de l’entreprise du bâtiment Dus, partie perdante dans la présente instance. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire droit aux conclusions présentées sur ce fondement par la communauté de communes du Bazadais et de mettre à la charge de la société Entreprise du bâtiment Dus la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

DECIDE
Article 1er : La requête de la société Entreprise du bâtiment Dus est rejetée.
Article 2 : La société Entreprise du bâtiment Dus versera à la communauté de communes du Bazadais une somme de 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.


© 2022 Cabinet Palmier - Tous droits réservés - Reproduction interdite sans autorisation.
Les informations juridiques, modèles de documents juridiques et mentions légales ne constituent pas des conseils juridiques
Table des matières
Tous droits réservés © Cabinet Palmier - Brault - Associés
Un site réalisé par Webocube