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Publié le 21 Oct 2019

L’action en paiement direct d’un sous-traitant : qui doit payer ?

CE 18 septembre 2019, Société communale de Saint-Martin, req. n°425716

Dans cette affaire, le Conseil d’État rappelle que l’obligation de payer les prestations réalisées par le sous-traitant incombe au maître d’ouvrage. Cependant, il précise que l’obligation peut peser sur le mandataire du maître de l’ouvrage  lorsqu’il lui a été confié l’exercice de certaines attributions concernant les prestations effectuées par le sous-traitant.

Enseignement n°1 : L’action en paiement direct d’un sous-traitant contre le maître d’ouvrage

Le Conseil d’État rappelle les conditions du paiement direct du sous-traitant. Il précise que la prestation réalisée par le sous-traitant, si elle a été « accepté » et « dont les conditions de paiement ont été agréées » par le maître d’ouvrage impose à ce dernier une obligation de payer (art. 6, loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance). Autrement dit, seules ces prestations validées par le maître d’ouvrages donnent droit au paiement direct par le maître d’ouvrage.

Le juge administratif a déjà eu l’occasion d’insister sur le formalisme auquel doit se soumettre le sous-traitant dans sa demande de paiement des prestations réalisées depuis la loi du 31 décembre 1975. Le Conseil d’État a par le passé précisé que le sous-traitant doit d’abord adresser sa demande de paiement direct à l’entrepreneur principal comprenant toutes les pièces justificatives (CE, 19 avr. 2017, Dpt. Hérault, req. n°396174). C’est seulement après que le sous-traitant peut demander le paiement direct au maître d’ouvrage (CAA Douai, 25 avr. 2019, Sté Entreprise Dufour et a., req. n°17DA00023).

L’arrêt du 18 septembre 2019 donne l’occasion au Conseil d’État de préciser qu’en cas « de désaccord sur les sommes dues » et donc en cas d’impayé, « le sous-traitant peut engager, devant le juge administratif si le contrat principal est administratif, une action en paiement direct ». Le Conseil d’État précise également que ce recours n’engage pas la responsabilité quasi-délictuelle du maître d’ouvrage mais consiste uniquement dans l’obtention des sommes que le sous-traitant « estime lui être dues ».

Enseignement n°2 : L’action en paiement direct d’un sous-traitant contre le mandataire du maître d’ouvrage

L’arrêt du 18 septembre 2019 a pour particularité que les prestations réalisées par le sous-traitant l’ont été sous la conduite et la responsabilité d’un mandataire. Ce dernier agissait au nom et pour le compte du maître d’ouvrage.

Dans ce cas de figure, le Conseil d’État rappelle qu’en vertu de l’article 3 de la loi du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d’ouvrage et à ses rapports avec la maîtrise privée, « le juge, saisi d’une action en paiement direct par un sous-traitant, peut mettre à la charge du mandataire le versement des sommes éventuellement dues ». Cette disposition législative est d’ailleurs actuellement codifiée à l’article L. 2425-5 du Code de la commande publique.

Tel sera le cas si le sous-traitant démontre que les prestations qu’il a réalisé et dont il demande le paiement font parties « des missions qui incombent au mandataire en vertu du contrat qu’il a conclu avec le maître d’ouvrage ».

Le Conseil d’État précise enfin que la solution est identique lors d’un recours devant le juge du référé provision.


CE, 18 septembre 2019, Société communale de Saint-Martin, req. n°425716

Procédure contentieuse antérieure

La société Eiffage Energie Guadeloupe a saisi, sur le fondement de l’article R. 541-1 du code de justice administrative, le juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe d’une demande tendant à la condamnation solidaire du syndicat intercommunal d’alimentation en eau et assainissement de la Guadeloupe (SIAEAG), de la communauté d’agglomération Grand Sud Caraïbes (CAGSC) et de la société communale de Saint-Martin (SEMSAMAR) à lui verser, d’une part, une provision de 427 124,34 euros au titre des prestations qu’elle a réalisées dans le cadre de l’opération de construction et de raccordement de la station d’épuration de Capesterre Belle-Eau et, d’autre part, une provision de 123 418,01 euros au titre des intérêts moratoires échus au 31 décembre 2017. Par une ordonnance n° 1701270 du 26 avril 2018, le juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe a rejeté cette demande.

Par une ordonnance n° 18BX01675 du 9 novembre 2018, le juge des référés de la cour administrative d’appel de Bordeaux a, sur appel de la société Eiffage Energie Systèmes – Guadeloupe, venant aux droits de la société Eiffage Energie Guadeloupe, condamné solidairement la CAGSC et la SEMSAMAR à verser une provision de 561 772,96 euros et réformé en ce qu’elle avait de contraire l’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe.

Considérant ce qui suit :

  1. Le pourvoi de la société communale de Saint-Martin (SEMSAMAR) enregistré sous le n° 425716, d’une part, et sa requête enregistrée sous le n° 426120, d’autre part, sont dirigés contre la même ordonnance n° 18BX01675 du 9 novembre 2018 de la cour administrative d’appel de Bordeaux. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

Sur le pourvoi n° 425716 :

  1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés de la cour administrative d’appel de Bordeaux que, dans le cadre de la construction d’une station d’épuration sur le territoire de la commune de Capesterre-Belle-Eau, le syndicat intercommunal d’alimentation en eau et assainissement de la Guadeloupe (SIAEAG), devenu O’diles, a conclu le 1er août 2011 une convention de mandat de maîtrise d’ouvrage publique avec la société communale de Saint-Martin (SEMSAMAR). Par un marché du 28 novembre 2011, le groupement constitué par les sociétés Getelec TP, Vinci environnement et Mick Théophile a été chargé des travaux. La société Eiffage Energie Guadeloupe, devenue Eiffage Energie Systèmes – Guadeloupe, a été acceptée en qualité de sous-traitante en vue de la réalisation de prestations d’électricité et ses conditions de paiement ont été agréées. Aucune des factures émises par la société Eiffage Energie Systèmes – Guadeloupe à compter du mois de juin 2013 n’ayant été honorée, elle a saisi le 27 décembre 2017 le juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe d’une demande tendant à obtenir la condamnation solidaire de la SEMSAMAR, du SIAEAG et de la communauté d’agglomération Grand Sud Caraïbes (CAGSC), qui a succédé au SIAEAG dans ses compétences en matière d’eau et d’assainissement, notamment pour la commune de Capesterre-Belle-Eau, à lui verser une provision de 427 124,34 euros au titre de la rémunération des prestations qu’elle a réalisées dans le cadre de l’opération de construction et de raccordement de la station d’épuration de Capesterre-Belle-Eau et une provision de 123 418,01 euros au titre des intérêts moratoires dus sur cette somme et échus au 31 décembre 2017. La société Eiffage Energie Systèmes – Guadeloupe a fait appel de l’ordonnance du 26 avril 2018 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe a rejeté sa demande, en demandant la même provision au titre de la rémunération des prestations et une provision d’un montant de 134 648,62 au titre des intérêts moratoires arrêtés au 31 mai 2018. Par une ordonnance du 9 novembre 2018, le juge des référés de la cour administrative d’appel de Bordeaux a condamné la SEMSAMAR et la CAGSC à verser solidairement à cette société une provision de 561 772,96 euros et a rejeté le surplus des conclusions des parties. La SEMSAMAR se pourvoit en cassation contre cette ordonnance en tant que le juge des référés de la cour administrative d’appel de Bordeaux l’a condamnée à verser solidairement avec la CAGSC une telle provision.
  2. Aux termes de l’article R. 541-1 du code de justice administrative : ” Le juge des référés peut, même en l’absence d’une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l’a saisi lorsque l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable. Il peut, même d’office, subordonner le versement de la provision à la constitution d’une garantie “.
  3. Aux termes de l’article 6 de la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance: ” Le sous-traitant direct du titulaire du marché qui a été accepté et dont les conditions de paiement ont été agréées par le maître de l’ouvrage, est payé directement par lui pour la part du marché dont il assure l’exécution “.

  4. Il résulte de ces dispositions que l’obligation de payer les prestations réalisées par un sous-traitant accepté et dont les conditions de paiement ont été agréées incombe au maître d’ouvrage. En cas de désaccord sur les sommes dues, le sous-traitant peut engager, devant le juge administratif si le contrat principal est administratif, une action en paiement direct, dont l’objet n’est pas de poursuivre sa responsabilité quasi-délictuelle, mais d’obtenir le paiement des sommes qu’il estime lui être dues.

  5. Dans le cas où, en application de l’article 3 de la loi du 12 juillet 1985 relative à la maitrise d’ouvrage et à ses rapports avec la maîtrise privée, aujourd’hui codifié à l’article L. 2422-5 du code de la commande publique, le maître d’ouvrage a confié à un mandataire l’exercice de certaines attributions en son nom et pour son compte, le juge, saisi d’une action en paiement direct par un sous-traitant, peut mettre à la charge du mandataire le versement des sommes éventuellement dues si et dans la mesure où il résulte de l’instruction devant lui que ce versement est au nombre des missions qui incombent au mandataire en vertu du contrat qu’il a conclu avec le maître d’ouvrage. Il en va de même lorsque le sous-traitant demande, en application des dispositions précitées de l’article R. 541-1 du code de justice administrative, une provision.

  6. Le juge des référés de la cour administrative d’appel de Bordeaux a relevé, sans dénaturer les faits qui lui étaient soumis, que la SEMSAMAR, agissant en tant que mandataire du SIAEAG, avait accepté la société Eiffage Energie Systèmes – Guadeloupe comme sous-traitant et agréé ses conditions de paiement, que l’existence de la créance que celle-ci détenait du fait de l’exécution des prestations qui lui avaient été sous-traitées n’était pas contestée et que la SEMSAMAR était chargée, en vertu de la convention de mandat de maîtrise d’ouvrage conclue avec le SIAEAG, du règlement des prestations accomplies par les entreprises intervenant sur le chantier. Il a pu dès lors, sans commettre d’erreur de droit ni qualifier inexactement les faits qui lui étaient soumis, par une ordonnance suffisamment motivée, d’une part, juger que l’obligation dont se prévalait la société Eiffage Energie Systèmes – Guadeloupe n’était pas sérieusement contestable et, d’autre part, mettre solidairement à la charge de la SEMSAMAR le versement de la provision demandée.
  7. Il résulte de ce qui précède que le pourvoi de la SEMSAMAR doit être rejeté, y compris ses conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de la SEMSAMAR le versement à la société Eiffage Energie Systèmes – Guadeloupe et à la CAGSC d’une somme de 3 000 euros chacune au titre des mêmes dispositions.

D E C I D E :

Article 1er : Le pourvoi de la SEMSAMAR est rejeté.
Article 2 : Il n’y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 426120 de la SEMSAMAR.
Article 3 : La SEMSAMAR versera à la société Eiffage Energie Systèmes – Guadeloupe et à la communauté d’agglomération Grand Sud Caraïbes la somme de 3 000 euros chacune au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Eiffage Energie Systèmes – Guadeloupe, au syndicat O’diles, à la communauté d’agglomération Grand Sud Caraïbes et à la société communale de Saint-Martin.


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