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Publié le 03 Mai 2018

Un courrier sollicitant une augmentation de rémunération n’est pas un mémoire de réclamation

CE 26 avril 2018, Communauté d’agglomération Toulon Provence Méditerranée, req.n°407898

Cet arrêt donne l’occasion de rappeler que le non-respect du formalisme du mémoire de réclamation entraîne l’irrecevabilité du recours.

Pour rappel, une communauté d’agglomération a conclu avec un groupement de maîtrise d’œuvre un contrat portant sur la réhabilitation d’une station d’épuration. En cours d’exécution du marché, ledit groupement a réclamé une augmentation de sa rémunération à laquelle la communauté d’agglomération a refusé de faire droit. Les membres du groupement de maîtrise d’œuvre ont alors décidé de saisir la juridiction administrative en vue de condamner la communauté d’agglomération à leur verser les sommes réclamées.

Le Conseil d’Etat va rejeter le recours au motif que le courrier par lequel les membres du groupement de maîtrise d’œuvre ont sollicité une augmentation de leur rémunération ne peut pas s’assimiler à un mémoire de réclamation au sens du CCAG-PI applicable au marché et de la jurisprudence administrative rendue en la matière. 

Rappel n°1 : L’obligation de respecter le formalisme du mémoire de réclamation

L’article 40.1 du cahier des clauses administratives générales applicable aux marchés de prestations intellectuelles (CCAG-PI) dans sa rédaction en vigueur à la date de conclusion du marché de maîtrise d’œuvre indique que: « tout différend entre le titulaire et la personne responsable du marché doit faire l’objet, de la part du titulaire, d’un mémoire de réclamation qui doit être remis à la personne responsable du marché ». Il en résulte que tout différend entre le titulaire et l’acheteur public doit faire l’objet, préalablement à toute instance contentieuse, d’un mémoire en réclamation de la part du titulaire du marché.

Au terme de la jurisprudence, un mémoire du titulaire d’un marché ne peut être regardé comme un mémoire de réclamation au sens de l’article 40.1 du CCAG-PI que s’il comporte l’énoncé d’un différend et expose de façon précise et détaillée les chefs de la contestation en indiquant, d’une part, les montants des sommes dont le paiement est demandé et, d’autre part, les motifs de ces demandes, notamment les bases de calcul des sommes réclamées.

Au cas présent, le Conseil d’Etat considère qu’un courrier qui se borne à proposer une augmentation de la rémunération prévue au marché en proposant différentes solutions pour fonder juridiquement l’octroi de cette augmentation mais sans comporter l’énoncé d’un différend ne peut pas être regardé comme une réclamation au sens de l’article 40.1 du CCAG-PI. En la matière, il faut donc en déduire que trop de politesse tue la procédure. Il ne faut pas proposer mais exiger et menacer pour qu’un courrier puisse être considéré comme un véritable mémoire de réclamation.

Rappel n°2 : l’obligation de notifier le mémoire de réclamation préalablement à la saisine du juge

Le non respecte du formalisme de la réclamation peut avoir des conséquences radicales sur la recevabilité de la requête puisque l’absence de notification d’une réclamation préalable frappe les recours contentieux d’irrecevabilité qu’il s’agisse d’actions au fond ou de certains procédures de référé comme le référé provision (CE 16 décembre 2009, Sté d’architecture Groupe 6, req.n°326220).


Conseil d’État
26 avril 2018
n°407898

  1. Considérant qu’il ressort des énonciations de l’arrêt attaqué que, le 3 mars 2008, le syndicat intercommunal de la région toulonnaise pour le traitement et l’évacuation en mer des eaux usées, aux droits duquel est venue la communauté d’agglomération Toulon Provence Méditerranée, a conclu avec les sociétés EMTS et Envéo Ingénierie un marché de maîtrise d’œuvre portant sur la réhabilitation d’une station d’épuration ; que le 20 septembre 2010, le groupement a demandé une augmentation du prix du marché ; que le 30 novembre 2010, le président de la communauté d’agglomération Toulon Provence Méditerranée a rejeté cette demande ; que, par un jugement du 13 février 2015, le tribunal administratif de Toulon a rejeté la demande de la société EMTS et de la société Envéo Ingénierie tendant à la condamnation de la communauté d’agglomération à leur verser la somme de 337 906,50 euros HT au titre de leur rémunération de maître d’œuvre ; que par un arrêt du 12 septembre 2016, la cour administrative d’appel de Marseille a annulé ce jugement et a condamné la communauté d’agglomération à verser à la société Envéo Ingénierie, représentant le groupement EMTS/Envéo Ingénierie, la somme de 405 487,81 euros toutes taxes comprises ; que la communauté d’agglomération se pourvoit en cassation contre cet arrêt ;
  2. Considérant qu’aux termes de l’article 40.1 du cahier des clauses administratives générales applicable aux marchés de prestations intellectuelles (CCAG-PI) dans sa rédaction en vigueur à la date de conclusion du marché : “ Tout différend entre le titulaire et la personne responsable du marché doit faire l’objet, de la part du titulaire, d’un mémoire de réclamation qui doit être remis à la personne responsable du marché.(…) “ ; qu’il résulte de ces stipulations que le différend entre le titulaire et la personne responsable du marché doit faire l’objet, préalablement à toute instance contentieuse, d’un mémoire en réclamation de la part du titulaire du marché ;
  3. Considérant qu’un mémoire du titulaire d’un marché ne peut être regardé comme une réclamation au sens de l’article 40.1 du CCAG-PI que s’il comporte l’énoncé d’un différend et expose de façon précise et détaillée les chefs de la contestation en indiquant, d’une part, les montants des sommes dont le paiement est demandé et, d’autre part, les motifs de ces demandes, notamment les bases de calcul des sommes réclamées ; que par suite, en se bornant à relever, pour juger que le courrier du groupement de maîtrise d’oeuvre en date 20 septembre 2010 devait être regardé comme constituant une réclamation, au sens de cet article 40.1, applicable au marché en cause, et écarter la fin de non recevoir de la communauté d’agglomération tirée de ce que le différend entre elle et son maître d’oeuvre n’avait pas fait l’objet, préalablement à l’instance contentieuse, d’un mémoire en réclamation de la part du groupement, que ce courrier détaillait le montant des prestations dont les sociétés demandaient l’indemnisation et les motifs de cette demande, sans rechercher s’il comportait, en outre, l’énoncé d’un différend, la cour a commis une erreur de droit ; que, par suite et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyen du pourvoi, son arrêt doit être annulé ;

  4. Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de régler l’affaire au fond en application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative ;
  5. Considérant qu’il résulte de l’instruction que le courrier précité du 20 septembre 2010 ne comportait pas l’énoncé d’un différend dès lors que le groupement proposait différentes solutions pour fonder juridiquement l’octroi d’une augmentation de sa rémunération et indiquait : “ Je demeure à votre entière disposition pour m’entretenir avec vous de la faisabilité de cette solution… “ ; qu’il ne peut dès lors pas être regardé comme une réclamation au sens de l’article 40.1 du CCAG-PI ; que faute d’avoir respecté la procédure prévue à cet article 40.1, la société Envéo Ingénierie n’est pas fondée à soutenir que la demande de première instance des sociétés membres du groupement était recevable et que c’est à tort que le tribunal administratif de Toulon a rejeté leur demande tendant à la condamnation de la communauté d’agglomération à leur verser une somme de 337 906,50 euros au titre de leur rémunération de maître d’oeuvre ;

  6. Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la communauté d’agglomération Toulon Provence Méditerranée qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que demande la société Envéo Ingénierie ; qu’il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de la société Envéo Ingénierie le versement à la communauté d’agglomération Toulon Provence Méditerranée de la somme de 4 000 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

 

D E C I D E :

Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Marseille du 12 décembre 2016 est annulé.
Article 2 : La requête présentée par la société Envéo Ingénierie devant la cour administrative d’appel de Marseille est rejetée.
Article 3 : La société Envéo Ingénierie versera à la communauté d’agglomération Toulon Provence Méditerranée une somme de 4 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la communauté d’agglomération Toulon Provence Méditerranée, à la société Envéo Ingénierie et à la société EMTS.

 


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