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Publié le 15 Jan 2020

Sous-traitant: à partir de quand une demande de paiement direct auprès du maître de l’ouvrage n’est plus recevable ?

CE 2 décembre 2019, Sté FIDES, req.n°425204

Dans cette affaire, le Conseil d’Etat apporte d’utiles précisions procédurales sur le stade à partir duquel, le sous-traitant perd son droit au paiement direct des prestations réalisées auprès du maître de l’ouvrage. Pour bénéficier du droit au paiement direct par le maître de l’ouvrage des prestations qu’il a effectuées dans le cadre de l’exécution du  marché, le sous-traitant agréé doit présenter sa demande de paiement direct au maître de l’ouvrage avant  la notification du décompte du marché au titulaire.

Enseignement n°1 : Du rappel utile de la procédure de paiement direct du sous-traitant

La procédure du paiement direct du sous-traitant d’un marché public est codifiée par les articles R 2193-10 à R 2193-16 du code de la commande publique. L’article R 2193-16 du code de la commande publique

Le sous-traitant qui entend bénéficier du paiement direct adresse sa demande au titulaire sous pli recommandé avec accusé de réception ou la dépose directement auprès de lui contre récépissé. Cette demande de paiement direct doit correspondre au solde des travaux effectués ou à un acompte.

A compter de l’accomplissement de cette formalité, le titulaire dispose d’un délai de 15 jours pour accepter ou refuser la demande de paiement direct. Pour ce faire, il examine la demande et vérifie si elle correspond aux prestations qui ont effectivement été exécutées par le sous-traitant. Le titulaire peut accepter la totalité des pièces justificatives, une partie des pièces justificatives et en rejeter certaines ou bien rejeter l’ensemble de la demande.

Une fois sa décision prise, le titulaire la notifie au sous-traitant et à l’acheteur. En cas d’acceptation expresse, il joint au projet de décompte adressé à l’acheteur ou son représentant une attestation et indique le montant des sommes à prélever au profit du sous-traitant. Dans l’hypothèse où le titulaire oppose un refus de paiement direct au sous-traitant, il doit motiver sa décision auprès du sous-traitant et de l’acheteur. L’acheteur n’a pas à apprécier la légalité du motif invoqué par le titulaire à l’appui de son refus.

A l’issue du délai de 15 jours, le titulaire qui ne s’est pas manifesté est réputé avoir accepté la demande de paiement direct adressée par le sous-traitant. En parallèle de la demande adressée au titulaire, le sous-traitant adresse sa demande à l’acheteur, qu’il accompagne des copies des factures adressées au titulaire et de l’accusé de réception ou du récépissé attestant que le titulaire a bien reçu la demande ou l’avis postal attestant que le pli a été refusé ou non réclamé.

A la réception de cette demande, l’acheteur adresse alors à son tour, et sans délai, au titulaire du marché une copie des factures produites par le sous-traitant. Il informe par la suite le titulaire du paiement direct du sous-traitant auquel il a procédé pour les prestations que ce dernier a exécutées. Cette demande parallèle adressée à l’acheteur permet au sous-traitant de se prémunir contre l’éventuelle négligence du titulaire dans la transmission de la demande de paiement à l’acheteur et d’exiger de ce dernier le paiement des prestations qu’il a exécutées.

Dans l’hypothèse où le titulaire du marché public n’a ni opposé un refus motivé à la demande de paiement du sous-traitant dans le délai de 15 jours imparti suivant sa réception, ni transmis celle-ci à l’acheteur, le sous-traitant qui n’a pas transmis en parallèle sa demande de paiement à l’acheteur ne pourra prétendre au paiement direct et aucun intérêt moratoire ne pourra être réclamé. Cette transmission parallèle permet en effet à l’acheteur de s’assurer que la demande de paiement a bien été adressée au titulaire et de connaître la date à compter de laquelle, sans manifestation de sa part, il doit procéder au paiement direct du sous-traitant

Enseignement n°2 : Le stade à partir duquel la procédure de paiement direct devient irrecevable auprès du maître de l’ouvrage

Pour être recevable, le sous-traitant agréé doit présenter sa demande de paiement direct au maître de l’ouvrage avant  la notification du décompte du marché au titulaire.

Dans son arrêt du 2 décembre 2019, le Conseil d’Etat pose cette règle dans un considérant de principe selon lequel « pour obtenir le paiement direct par le maître d’ouvrage de tout ou partie des prestations qu’il a exécutées dans le cadre de son contrat de sous-traitance, le sous-traitant régulièrement agréé doit adresser en temps utile sa demande de paiement direct à l’entrepreneur principal, titulaire du marché, et […] au maître d’ouvrage. Une demande adressée après la notification du décompte général du marché au titulaire de celui-ci ne peut être regardée comme ayant été adressée en temps utile ». Une demande de paiement direct adressée par le sous-traitant postérieurement à la notification du décompté général du marché par le maître de l’ouvrage au titulaire du marché est irrecevable.

Dans ses conclusions sur cette affaire, le Rapporteur public Gilles Pellissier apporte deux précisions particulièrement utiles :

  • Tout d’abord, en transmettant trop tard sa  demande au maître de l’ouvrage le sous-traitant ne perd pas son droit au paiement de ses prestations par  le titulaire mais seulement la possibilité d’en obtenir le paiement par le maître de  l’ouvrage. En d’autres termes, le sous-traitant pourra se retourner contre le titulaire du marché pour obtenir le paiement de ses prestations, ce d’autant plus que ce dernier aura été réglé des prestations réalisées par son sous-traitant.
  • Ensuite,  la tardiveté de la transmission de la demande de  paiement direct n’empêche pas le maître de l’ouvrage de payer directement le sous-traitant.  Elle fait seulement obstacle à ce que le paiement qu’il aura pu faire au titulaire soit considéré  comme fautif et à ce qu’il soit obligé de payer tout de même le sous-traitant. Mais, tant qu’il n’a pas payé le titulaire, et si la demande de paiement direct ne rencontre aucune objection  de la part de ce dernier, il doit y faire droit à quelque moment qu’elle lui parvienne. Au cas où cette somme aurait été inscrite au crédit du titulaire dans le décompte devenu définitif, le Rapporteur public suggère que le maître de l’ouvrage obtienne de la part du titulaire qu’il accepte une  modification du décompte sur ce point avant de payer le sous-traitant, pour que le titulaire ne lui oppose pas ensuite le décompte définitif pour l’obliger à lui verser cette somme.

CE 2 décembre 2019, Sté FIDES, req.n°425204

Considérant ce qui suit :

  1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que par un marché signé le 13 mars 1997, le département de la Haute-Savoie a confié l’exécution des travaux de construction d’une galerie paravalanche sur la route départementale n° 106, à Corbalanche, à la société Bianco, laquelle a sous-traité à la société Seco/DG la réalisation d’une paroi clouée et la pose des tirants et micro-pieux. La société Bianco a transmis au département, le 23 octobre 1998, un projet de décompte général de l’ensemble des travaux de son lot, y compris ceux réalisés par ses sous-traitants, notamment la société DG Entreprise, qui a succédé à la société Seco/DG, intégrant entre autres les surcoûts allégués par cette dernière au titre de l’allongement de la durée des travaux et des demandes de rémunération au titre de travaux supplémentaires. Le décompte général de la société Bianco a été établi le 7 janvier 1999 par le département. Il excluait l’indemnisation demandée et infligeait à l’entrepreneur des pénalités de retard. La société Bianco a contesté ce décompte devant le tribunal administratif de Grenoble qui, par jugement du 23 septembre 2010, a condamné le département à lui verser la somme de 176 696,69 euros correspondant aux seuls travaux supplémentaires qu’elle avait elle-même effectués, à l’exclusion de ceux réalisés par les sous-traitants et des sommes demandées par eux au titre de l’allongement de la durée des travaux. Par un arrêt du 26 avril 2012, la cour administrative d’appel de Lyon a rejeté l’appel de la société Bianco contre ce jugement. La société EMJ, liquidateur judiciaire de la société DG Entreprise, s’est pourvue en cassation. Par une décision du 27 mars 2013, le Conseil d’Etat statuant au contentieux a rejeté ce pourvoi.
  2. Il ressort également des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le 9 décembre 2013, la société EMJ a saisi le tribunal administratif de Grenoble d’une demande tendant à la condamnation du département à lui verser la somme de 93 661,77 euros en réparation des préjudices ayant résulté du déroulement du chantier et en rémunération des prestations supplémentaires exécutées pour la livraison de la partie d’ouvrage qu’elle avait réalisée en sa qualité de sous-traitante agréée. Par un jugement du 30 juin 2016, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté cette demande. La société Fides, venant aux droits de la société EMJ, se pourvoit en cassation contre l’arrêt du 30 août 2018 par lequel la cour administrative d’appel de Lyon a rejeté l’appel formé contre ce jugement.
  3. Aux termes de l’article 6 de la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance, dans sa rédaction applicable au marché litigieux : “ Le sous-traitant qui a été accepté et dont les conditions de paiement ont été agréées par le maître de l’ouvrage, est payé directement par lui pour la part du marché dont il assure l’exécution (…) “. Aux termes de l’article 8 de cette loi : “ L’entrepreneur principal dispose d’un délai de quinze jours, comptés à partir de la réception des pièces justificatives servant de base au paiement direct, pour les revêtir de son acceptation ou pour signifier au sous-traitant son refus motivé d’acceptation. / Passé ce délai, l’entrepreneur principal est réputé avoir accepté celles des pièces justificatives ou des parties de pièces justificatives qu’il n’a pas expressément acceptées ou refusées (…) “.
  4. Aux termes de l’article 186 ter du code des marchés publics, dans sa version alors applicable : “ Les mandatements à faire au sous-traitant sont effectués sur la base des pièces justificatives revêtues de l’acceptation du titulaire du marché. / Dès réception de ces pièces, l’administration avise le sous-traitant de la date de réception de la demande de paiement envoyée par le titulaire et lui indique les sommes dont le paiement à son profit a été accepté par ce dernier. Dans le cas où le titulaire d’un marché n’a ni opposé un refus motivé à la demande de paiement du sous-traitant dans le délai de quinze jours suivant sa réception, ni transmis celle-ci à l’administration, le sous-traitant envoie directement sa demande de paiement à l’Administration par lettre recommandée avec avis de réception postal ou la lui remet contre un récépissé dûment daté et inscrit sur un registre tenu à cet effet (…) “.
  5. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que, pour obtenir le paiement direct par le maître d’ouvrage de tout ou partie des prestations qu’il a exécutées dans le cadre de son contrat de sous-traitance, le sous-traitant régulièrement agréé doit adresser en temps utile sa demande de paiement direct à l’entrepreneur principal, titulaire du marché, et, dans le cas mentionné au deuxième alinéa de l’article 186 ter du code des marchés publics, au maître d’ouvrage. Une demande adressée après la notification du décompte général du marché au titulaire de celui-ci ne peut être regardée comme ayant été adressée en temps utile.

     

  6. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société DG Entreprise n’a pas présenté de demande de paiement direct destinée au maître d’ouvrage avant que le décompte général ne soit adressé à la société Bianco, titulaire du marché, en janvier 1999. Il suit de là qu’en jugeant que la demande de paiement direct adressée au maître d’ouvrage, en décembre 2013, par la société EMJ, en sa qualité de liquidateur de la société DG Entreprise, était tardive, la cour administrative d’appel de Lyon, qui n’avait pas à rechercher si ce décompte général était devenu définitif, n’a pas commis d’erreur de droit. En statuant ainsi, la cour n’a, par ailleurs et en tout état de cause, pas privé la société Fides d’un recours effectif au sens des articles 6 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
  7. Enfin, la société Fides ne saurait utilement soutenir que la cour aurait commis une erreur de droit en jugeant que les dispositions de l’article 186 ter du code des marchés publics alors applicable imposaient au sous-traitant d’adresser sa demande de paiement direct à la fois au titulaire du marché et au maître d’ouvrage, dès lors que la cour ne s’est pas fondée sur ce motif surabondant pour rejeter la requête d’appel.
  8. Il suit de là que la société Fides n’est pas fondée à demander l’annulation de l’arrêt qu’elle attaque.
  9. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge du département de la Haute-Savoie qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la société Fides la somme de 3 000 euros à verser au département de la Haute-Savoie au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

 

D E C I D E :
Article 1er : Le pourvoi de la société Fides est rejeté.
Article 2 : La société Fides versera au département de la Haute-Savoie une somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société Fides et au département de la Haute-Savoie.

 


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