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Publié le 07 Fév 2016

Le maître d’œuvre ne peut pas être condamné à réparer lui-même les malfaçons

Le maître d’œuvre ne peut pas être condamné à réparer lui-même les malfaçonsCE 25 janvier 2016, Polynésie Française, req.n°384414
Dans cette affaire, le Conseil d’Etat rappelle qu’un maître d’œuvre ne peut pas être condamné à réparer lui-même les malfaçons constatées dans le cadre de la garantie décennale.

Il en résulte que dans le cadre d’un contentieux, si le juge est saisi de conclusions tendant à enjoindre la maîtrise d’œuvre à réparer les malfaçons constatées et que sa responsabilité est retenue, en totalité ou en partie, il lui appartient, même en l’absence de conclusions expresses tendant à cette fin, de condamner le maître d’œuvre à une réparation en argent dans la limite du coût des travaux.

Solution intéressante en ce qu’elle impose non pas une réparation en nature par une réparation pécuniaire ce qui implique que le juge puisse disposer d’un rapport d’expertise qui estime le coût des réparations. A défaut,  l’arrêt semble impliquer que le juge soit tenu de prescrire une expertise judiciaire pour déterminer le montant des réparation à moins que les pièces du dossier lui permettent de déterminer ce montant.

Conseil d’État
N° 384414
7ème / 2ème SSR
M. Grégory Rzepski, rapporteur
M. Gilles Pellissier, rapporteur public
SCP WAQUET, FARGE, HAZAN ; BLONDEL ; SCP PIWNICA, MOLINIE, avocat(s)

Lecture du lundi 25 janvier 2016
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Par une décision du 6 mai 2015, le Conseil d’Etat, statuant au contentieux, a prononcé l’admission des conclusions du pourvoi de la Polynésie française dirigées contre l’arrêt n° 12PA02534 de la cour administrative d’appel de Paris du 10 juin 2014 en tant seulement que cet arrêt a statué sur l’évaluation du montant du préjudice qu’elle a subi du fait des désordres affectant l’émissaire de rejet en mer des eaux usées de la zone touristique de Haapiti, à Moorea.

A l’appui de ces conclusions, la Polynésie française soutient que la cour administrative d’appel de Paris a commis une erreur de droit en rejetant comme irrecevable sa demande de condamnation de la société Speed et de la société Boyer à lui payer la somme de 300 000 000 F CFP ;

Par un mémoire en défense, enregistré le 22 juillet 2015, la société Speed conclut au rejet du pourvoi et, par la voie de pourvois incident et provoqué, demande au Conseil d’Etat :

  1. d’annuler l’arrêt du 10 juin 2014 de la cour administrative d’appel de Paris en tant qu’il la condamne à payer à la Polynésie française la somme de 5 539 126 francs CFP ;
  2. réglant l’affaire au fond, de rejeter l’appel de la Polynésie française ;
  3. de mettre à la charge de la Polynésie française et de la société Boyer la somme de 4 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :

  • le rapport de M. Grégory Rzepski, maître des requêtes en service extraordinaire,
  • les conclusions de M. Gilles Pellissier, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à Me Blondel, avocat de la Polynésie Française, à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de la société Bureau d’études Speed et à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la société Boyer ;

1. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la Polynésie française a conclu un marché de maîtrise d’oeuvre le 11 mars 1999 avec la société Speed relatif à l’assainissement collectif des eaux usées de la zone touristique de Haapiti et, le 19 février 2004, un marché de travaux avec la société Boyer pour la réalisation d’un émissaire de rejet des eaux traitées; qu’en 2009, des désordres dans la partie maritime de l’émissaire ont été signalés ; que, par un jugement du 9 février 2012, le tribunal administratif de la Polynésie française a jugé que la responsabilité décennale des deux sociétés était engagée mais que le maître d’ouvrage avait commis des fautes justifiant que seule la moitié du préjudice subi soit mise à la charge solidaire des deux sociétés ; que, par l’arrêt attaqué du 10 juin 2014, la cour administrative d’appel a annulé le jugement du 9 février 2012, jugé que la part de responsabilité des sociétés Speed et Boyer devait être fixée à un tiers chacune et fixé le montant total de l’indemnisation à 16 617 378 F CFP TTC ; que, par une décision du 6 mai 2015, le Conseil d’Etat, statuant au contentieux, a prononcé l’admission des conclusions du pourvoi de la Polynésie française dirigées contre l’arrêt du 10 juin 2014 en tant seulement qu’il a statué sur l’évaluation du montant du préjudice ;

Sur le pourvoi principal :

2. Considérant que la responsabilité des maîtres d’oeuvre en raison des malfaçons constatées dans les travaux ne peut trouver sa sanction, sur la base des principes régissant la responsabilité décennale des constructeurs, dans l’obligation d’exécuter eux-mêmes les réparations ; que, par suite, dans le cas où le juge, saisi de conclusions tendant à la condamnation des maîtres d’oeuvre et des entrepreneurs à une telle obligation, retient l’imputabilité, en totalité ou en partie, aux maîtres d’oeuvre des désordres allégués, il lui appartient, même en l’absence de conclusions expresses tendant à cette fin, de condamner les maîtres d’oeuvre à une réparation en argent dans la limite du coût des travaux ;

3. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la Polynésie française demandait, en première instance et dans ses premières écritures en appel, la condamnation de la société Speed et de la société Boyer à une réparation en nature par remplacement de l’ouvrage ; que la cour, qui disposait d’un rapport d’expertise du Centre de recherche insulaire et observatoire de l’environnement (Créocéan) estimant le coût du remplacement de l’ouvrage à 300 000 000 francs CFP, ne pouvait toutefois, sans erreur de droit, juger que les conclusions de la Polynésie française tendant à ce que les constructeurs soient condamnés solidairement à lui payer une somme de 300 000 000 francs CFP étaient irrecevables au motif qu’elles n’avaient été ainsi chiffrées que dans un mémoire d’appel ; que, par suite, son arrêt doit être annulé en tant qu’il statue sur le montant du préjudice subi par la Polynésie française ;

Sur les pourvois incidents :

4. Considérant que les conclusions, enregistrées après l’expiration du délai de pourvoi en cassation, par lesquelles la société Speed et la société Boyer demandent que l’arrêt soit annulé en tant qu’il n’a fixé la part de responsabilité de la Polynésie française qu’à un tiers doivent être regardées comme des conclusions incidentes ; qu’elles sont recevables dès lors qu’elles ne soulèvent pas un litige distinct du litige relatif au montant du préjudice lié aux mêmes désordres, auquel a été limitée l’admission du pourvoi de la Polynésie française par la décision du 6 mai 2015 du Conseil d’Etat, statuant au contentieux;
5. Considérant, en premier lieu, que la cour administrative d’appel de Paris, qui n’était pas tenue de répondre à chaque argument de la requête de la société Speed, s’est prononcée sur l’ensemble des moyens soulevés et a suffisamment motivé son arrêt ;

6. Considérant, en deuxième lieu, que, pour juger qu’il y avait lieu de retenir une part de responsabilité du maître de l’ouvrage correspondant à un tiers, la cour administrative d’appel de Paris a souverainement apprécié les faits qui lui étaient soumis sans les dénaturer ;

7. Considérant, enfin, qu’en estimant que la Polynésie française ne pouvait être regardée comme ayant imposé à la société Boyer le mode de fixation de l’émissaire dans sa partie maritime, la cour a porté sur les faits de l’espèce une appréciation souveraine exempte de dénaturation ; qu’elle n’a pas davantage entaché son arrêt de dénaturation en jugeant que la même société s’était bornée à mettre en place des béquilles d’appui non ancrées dans le sol ;

8. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que les pourvois incidents de la société Speed et de la société Boyer doivent être rejetés ;

Sur les pourvois provoqués :

9. Considérant que les conclusions, enregistrées après l’expiration du délai du pourvoi en cassation, par lesquelles la société Speed et la société Boyer demandent que l’arrêt attaqué soit annulé en tant qu’il leur attribue une part de responsabilité qui aurait dû l’être, selon chacune d’elles, à l’autre société doivent être regardées comme des pourvois provoqués dirigés par chacune des deux sociétés contre l’autre ; que, d’une part, elles ne soulèvent pas un litige distinct de celui auquel a été limitée l’admission du pourvoi de la Polynésie française par la décision du 6 mai 2015 du Conseil d’Etat, statuant au contentieux ; que, d’autre part, la présente décision, qui fait droit aux conclusions de la Polynésie française, est susceptible d’aggraver la situation des deux sociétés ; que, par suite, les conclusions provoquées de ces sociétés sont recevables ;

10. Considérant que, pour juger qu’il y avait lieu de fixer la part de responsabilité de la société Boyer à un tiers et celle de la société Speed à un tiers également, la cour administrative d’appel de Paris a souverainement apprécié les faits qui lui étaient soumis sans les dénaturer;

11. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que les pourvois provoqués de la société Speed et de la société Boyer doivent être rejetés ;

Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

12. Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de la Polynésie française qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante ; qu’il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire droit aux conclusions de la Polynésie française présentées sur le fondement du même article ;

D E C I D E :
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Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Paris du 10 juin 2014 est annulé en tant qu’il statue sur l’évaluation du montant du préjudice.
Article 2 : L’affaire est renvoyée, dans la limite de la cassation ainsi prononcée, à la cour administrative d’appel de Paris.
Article 3 : Les pourvois incidents et provoqués de la société Speed et de la société Boyer sont rejetés.
Article 4 : les conclusions présentées par la Polynésie française au titres des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la Polynésie française, à la société Speed et à la société Boyer.


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