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Publié le 09 Juil 2017

Les acheteurs publics doivent évaluer l’intégralité d’une offre !

CE 9 juin 2017, Commune de Saint-Maur-des-Fossés, n°408082
TA Melun, 1er février 2017, Société Urbis Park, n°1609916

Une commune avait lancé une consultation en vue de la conclusion d’une délégation de service public pour la gestion des parcs de stationnement et le stationnement en surface de la ville. Au cours de la négociation, le règlement de la consultation a été modifié à plusieurs reprises par l’autorité concédante, qui a finalement décidé de renoncer à prendre en compte un « scenario optionnel » et n’a analysé qu’une partie de chaque offre.

La société Urbis Park ayant été informée que son offre n’était pas retenue, elle a saisi le juge des référés d’une demande tendant à l’annulation de la décision de rejet de l’offre, à l’annulation de la décision d’attribution de la délégation et à l’annulation de la procédure. Le juge des référés ayant annulé la procédure de passation de la délégation, la commune a formé un pourvoi devant le Conseil d’Etat, qui condamne dans cet arrêt l’analyse partielle par un pouvoir adjudicateur des offres présentées par les candidats.

Règle n°1 : L’absence d’évaluation de l’intégralité de l’offre constitue un manquement

La commune avait modifié à plusieurs reprises le règlement de consultation. Dans sa dernière version, il prévoyait que les candidats devraient présenter leurs propositions selon deux « scenarios » : le premier fondé sur l’absence de toute subvention versée par la commune au délégataire (« scénario de base »), le second intégrant l’éventuelle prise en charge, par le futur délégataire, au 1er janvier 2018, de missions nouvelles pour tirer les conséquences des dispositions autorisant la perception de redevances de stationnement introduites par la loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles (« scénario » dit « optionnel »). La commune a finalement renoncé à prendre en compte, au stade de l’appréciation des offres, ce second « scénario » et a n’a donc examiné que les offres des entreprises correspondant au premier « scenario », sans en informer les candidats.

Le tribunal administratif a jugé qu’en n’appréciant pas les offres qui lui étaient soumises dans leur ensemble, au besoin en fixant une pondération sur la notation de l’option et en n’évaluant pas notamment la partie financière de cette « option », qui aboutissait au surplus à modifier de manière substantielle l’exécution du contrat de délégation de service public en cause sans procéder à une mise en concurrence de ses implications financières, la commune a manqué à ses obligations d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures et a lésé les intérêts de la requérante.

Le Conseil d’Etat valide ce raisonnement en retenant que l’ordonnance du juge des référés est suffisamment motivée et n’est entachée ni d’erreur de droit, ni de dénaturation, ni d’erreur de qualification juridique des faits.

Règle n°2 : le juge n’a pas à rechercher si un manquement de l’acheteur public est susceptible de léser davantage le requérant que les autres candidats

La commune soutenait que le juge des référés aurait dû rechercher si le manquement invoqué a été susceptible de léser davantage la requérante que les autres candidats. Le Conseil d’Etat rejette cet argument, en rappelant une position déjà exprimée (cf. CE, 1er juin 2011 Commune de Saint-Benoit, req. n° 345649), à savoir que « sil appartient au juge du référé précontractuel de rechercher si l’entreprise qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l’avoir lésée ou risquent de la léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant une entreprise concurrente, il ne lui appartient pas de rechercher à ce titre si le manquement invoqué a été susceptible de léser davantage le requérant que les autres candidats ».

Règle n°3 : la modification substantielle des règles de la consultation après le dépôt des offres et sans en avoir informé les candidats est illicite

Outre l’absence d’évaluation de l’intégralité de l’offre, le Conseil d’Etat relève par ailleurs que la commune a substantiellement modifié le règlement de la consultation au cours de la phase de négociation et a décidé de renoncer au « scénario optionnel » sans en avoir jamais informé les candidats admis à déposer une offre. Le tribunal administratif a jugé que la commune avait ainsi manqué aux principes de liberté d’accès à la commande publique, d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures. Le Conseil d’Etat approuve cette position et retient que l’ensemble de ces manquements justifie l’annulation de la totalité de la procédure de passation.


Conseil d’État
N° 408082
7ème – 2ème chambres réunies
Lecture du vendredi 9 juin 2017

 REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

La société Urbis Park a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Melun, sur le fondement de l’article L. 551-1 du code de justice administrative, d’une demande tendant, en premier lieu, à l’annulation de la décision du 25 novembre 2016 par laquelle la commune de Saint-Maur-des-Fossés a rejeté son offre déposée en vue de la conclusion d’une convention de délégation de service public pour l’attribution de la gestion des parcs de stationnement et le stationnement en surface, en deuxième lieu, à l’annulation de la décision par laquelle cette commune a attribué cette délégation à la société Effia Stationnement et, en dernier lieu, à l’annulation de la procédure en litige. Par une ordonnance n° 1609916 du 1er février 2017, le juge des référés du tribunal administratif de Melun a annulé la procédure de passation de la délégation de service public.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 16 février, 3 mars et 3 mai 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la commune de Saint-Maur-des-Fossés demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler cette ordonnance ;

2°) réglant l’affaire au titre de la procédure de référé, de rejeter la demande déposée par la société Urbis Park ;

3°) de mettre à la charge de la société Urbis Park la somme de 5000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

– le code général des collectivités territoriales ;

– la loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 ;

– le code des marchés publics ;

– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de M. Marc Firoud, maître des requêtes en service extraordinaire,

– les conclusions de M. Olivier Henrard, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la commune de Saint-Maur-des-Fossés et à la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, avocat de la société Urbis park.

  1. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Melun que, par un avis publié au Journal officiel de l’Union européenne du 10 mars 2016, la commune de Saint-Maur-des-Fossés a lancé une consultation en vue de la conclusion d’une délégation de service public pour la gestion des parcs de stationnement et le stationnement en surface de la ville ; qu’au terme de cette consultation, cinq sociétés ont été admises à participer à la phase de négociation, dont la société Urbis Park ; qu’au cours de cette négociation, le règlement de la consultation a été modifié à plusieurs reprises par l’autorité concédante ; que, dans sa dernière version, ce document prévoyait que les candidats devraient déposer leur offre finale en la déclinant selon deux ” scénarios “, le premier fondé sur l’absence de toute subvention versée par la commune de Saint-Maur-des-Fossés au délégataire (” scénario ” dit ” de base “), le second intégrant l’éventuelle prise en charge, par le futur délégataire, au 1er janvier 2018, de missions nouvelles pour tirer les conséquences des dispositions autorisant la perception de redevances de stationnement introduites par la loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles (” scénario ” dit ” optionnel “) ; que la commune a finalement renoncé à prendre en compte, au stade de l’appréciation des offres, ce second ” scénario ” ; que, par un courrier du 25 novembre 2016, la société Urbis Park a été informée par le maire de la commune de Saint-Maur-des-Fossés que son offre n’était pas retenue ; que, par une ordonnance du 1er février 2017, contre laquelle la commune se pourvoit en cassation, le juge des référés a, à la demande de la société Urbis Park, annulé la procédure de passation du contrat ;
  2. Considérant, en premier lieu, que si la commune de Saint-Maur-des-Fossés soutenait que l’offre de la société Urbis Park était irrégulière et que celle-ci ne pouvait par suite avoir été lésée par les manquements qu’elle invoquait, le juge des référés n’a pas dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis en estimant que l’offre de la société ne pouvait être regardée comme méconnaissant le règlement de la consultation ; que, s’il a également relevé, à tort, qu’une négociation était encore possible, alors qu’il s’agissait de l’offre finale de la société, cette erreur n’affecte qu’un motif surabondant de l’ordonnance attaquée ;
  3. Considérant, en deuxième lieu, que s’il appartient au juge du référé précontractuel de rechercher si l’entreprise qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l’avoir lésée ou risquent de la léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant une entreprise concurrente, il ne lui appartient pas de rechercher à ce titre si le manquement invoqué a été susceptible de léser davantage le requérant que les autres candidats ; que, par suite, le juge du référé précontractuel du tribunal administratif de Melun n’a pas commis d’erreur de droit en ne recherchant pas si le manquement invoqué par la société Urbis Park avait été susceptible de la léser davantage que ses concurrentes ; que, pour juger par ailleurs que l’absence d’évaluation de l’intégralité de l’offre d’une entreprise par l’autorité concédante constitue, de la part de celle-ci, un manquement aux obligations d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures susceptible de léser l’entreprise, le juge du référé précontractuel n’a, contrairement à ce que soutient la commune, entaché son ordonnance, qui est suffisamment motivée, ni d’erreur de droit, ni de dénaturation, ni d’erreur de qualification juridique des faits ;
  4. Considérant, enfin, qu’il ressort des pièces du dossier soumis au juge du référé précontractuel que la commune de Saint-Maur-des-Fossés a décidé, après avoir substantiellement modifié le règlement de la consultation au cours de la phase de négociation et sans avoir jamais informé les candidats admis à déposer une offre de son choix, de renoncer au ” scénario ” dit ” optionnel ” et de ne procéder qu’à un examen partiel des différentes offres ; qu’en jugeant qu’un tel manquement aux principes de liberté d’accès à la commande publique, d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures justifiait l’annulation de la totalité de la procédure de passation, le juge des référés n’a pas commis d’erreur de droit ;
  5. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la commune de Saint-Maur-des-Fossés n’est pas fondée à demander l’annulation de l’ordonnance attaquée ; que les dispositions de l’article L. 761-1 font, par suite, obstacle à ce qu’il soit fait droit à ses conclusions présentées au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu’il y a lieu en revanche, au titre des mêmes dispositions, de mettre à sa charge le versement d’une somme de 3 500 euros à la société Urbis Park ;

D E C I D E :

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Article 1er : Le pourvoi de la commune de Saint-Maur-des-Fossés est rejeté.
Article 2 : La commune de Saint-Maur-des-Fossés versera à la société Urbis Park une somme de 3 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la commune de Saint-Maur-des-Fossés.


TA de Melun
Ord. n°1609916 du 1er février 2017,
Sté Urbis Park

Sur les conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l’article L. 551-1 du code de justice administrative :

  1. Aux termes de l’article L. 551-1 du code de justice administrative : « Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu’il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l’exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d’exploitation, ou la délégation d’un service public ou la sélection d’un actionnaire opérateur économique d’une société d’économie mixte à opération unique (…). / Le juge est saisi avant la conclusion du contrat ». Aux termes de l’article L. 551-2 du même code : « I. – Le juge peut ordonner à l’auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l’exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s’il estime, en considération de l’ensemble des intérêts susceptibles d’être lésés et notamment de l’intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l’emporter sur leurs avantages. Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations. (…) » ; et selon l’article L. 551-10 du même code : « Les personnes habilitées à engager les recours prévus aux articles L. 551-1 et L. 551-5 sont celles qui ont un intérêt à conclure le contrat et qui sont susceptibles d’être lésées par le manquement invoqué (…) ». Il résulte de ces dispositions qu’il n’appartient pas au juge du référé précontractuel, qui doit seulement se prononcer sur le respect, par le pouvoir adjudicateur, des obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation d’un contrat, de se prononcer sur l’appréciation portée sur la valeur d’une offre ou les mérites respectifs des différentes offres. Il lui appartient, en revanche, lorsqu’il est saisi d’un moyen en ce sens, de vérifier que le pouvoir adjudicateur n’a pas dénaturé le contenu d’une offre en en méconnaissant ou en en altérant manifestement les termes et procédé ainsi à la sélection de l’attributaire du contrat en méconnaissance du principe fondamental d’égalité de traitement des candidats.
  2. En vertu de ces mêmes dispositions précitées de l’article L. 551-1 du code de justice administrative, les personnes habilitées à agir pour mettre fin aux manquements du pouvoir adjudicateur à ses obligations de publicité et de mise en concurrence sont celles susceptibles d’être lésées par de tels manquements. Il appartient dès lors au juge des référés précontractuels de rechercher si l’entreprise qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l’avoir lésée ou risquent de la léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant une entreprise concurrente.
  3. Par un avis publié au Journal officiel de l’Union européenne du 10 mars 2016, la ville de Saint-Maur-des-Fossés a lancé une consultation en vue de la conclusion d’une délégation de service public pour la gestion des parcs de stationnement et le stationnement en surface de la ville, selon la procédure définie aux articles L. 1411-1 et suivants et R. 1411-11 et suivants du code général des collectivités territoriales. Il s’agissait pour le délégataire d’assurer notamment la gestion et l’exploitation de l’ensemble des installations participant à la réalisation du service public du stationnement. Le périmètre portait sur un ensemble d’environ 3 300 places de stationnement et la durée de la délégation était prévue sur quinze ans. Les critères de sélections des offres étaient la qualité du service rendu aux usagers, sur 35 points, la qualité du projet proposé par le candidat, sur 15 points, et la valeur financière de l’offre, sur 50 points. Aux termes de l’article 8.2 du règlement de la consultation, le critère de la valeur financière de l’offre était réparti en six sous-critères, le montant de la redevance pour l’occupation du domaine public prévue dans un dossier D1 remis par le candidat, sur 25 points, le montant et les modalités de calcul de la participation concernant le stationnement sur voirie versée par la Ville au délégataire (dossier D2), le montant du projet d’investissement prévu (dossier D3), la grille tarifaire proposée et son adéquation aux objectifs de la collectivité pour le stationnement hors voirie (dossier D4), la pertinence et la cohérence du compte d’exploitation prévisionnel (dossier D5) et le développement de la fréquentation et des recettes du contrat (dossier D6), ces cinq derniers sous-critères étant notés chacun sur 5 points. La date limite de dépôt des offres était fixée au 20 avril 2016, puis reporté au 10 mai 2016. Un premier tour de négociation a eu lieu les 22 et 23 juin 2016 à l’issue duquel les entreprises candidates ont été invitées à remettre une nouvelle offre améliorée n° 2 au plus tard le 29 juillet 2016. Un règlement de la consultation modifié a été diffusé auprès des entreprises candidates, la Ville indiquant qu’elle souhaitait qu’ils présentent leurs propositions selon deux scénarios, le premier avec une offre fondée sur l’absence de toute subvention versée par la Ville au délégataire et le second avec une offre alternative basée sur l’acceptation par la Ville du versement au délégataire d’une éventuelle subvention dont le montant serait le plus réduit possible. Il était aussi demandé aux candidats de prévoir une « option» relative à la mise en œuvre par la Ville de certaines dispositions de la loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014, soit la dépénalisation des amendes de stationnement que la Ville souhaitait en effet éventuellement intégrer dans le cadre du futur contrat. La Ville entendait toutefois se réserver le droit de lever ou non cette option à compter de l’entrée en vigueur de la loi, initialement prévue au 1er janvier 2016 puis repoussée au 1er janvier 2018. Le détail du critère de la valeur financière de l’offre n’était pas modifié. Après un deuxième tour de négociation les 1er et 2 septembre 2016, les candidats ont été invités à remettre une offre améliorée n° 3 pour le 20 septembre 2016. Une troisième version du règlement de la consultation était diffusée et un troisième tour de négociation effectué le 29 septembre 2016, les candidats étant invités à déposer leur offre finale le 10 octobre 2016. Il indiquait que l’offre finale devait être établie sur la base du « scénario n° 1 », à savoir sans subvention versée par la Ville et que l’offre des candidats devait intégrer l’éventuelle mise à la charge du futur délégataire de « l’option » relative à la mise en œuvre par la Ville de la dépénalisation. L’article 8.2 déjà cité du règlement n’était pas modifié dans la dernière version diffusée auprès des candidats.
  4. La société Urbis Park a présenté une offre mentionnant, pour le « scénario n° 1», une redevance fixe de 5 000 euros par an, et pour « l’option », une redevance fixe de 150 000 euros, celle-ci étant mise en œuvre dès le 1er janvier 2018. Par une lettre du 25 novembre 2016, le maire de Saint-Maur-des-Fossés l’a informée que son offre n’était pas retenue et que c’était la proposition de la société Effia Stationnement qui était apparue comme celle satisfaisant le mieux aux critères de la délégation. Elle avait ainsi obtenu 58,7 points contre 81,14 points pour la société attributaire, soit une différence de 22,44 points, expliquée à hauteur de 21,9 points par le sous-critère du montant de la redevance pour l’occupation du domaine. Il ressortait de la lecture de l’annexe à cette lettre que, pour ce sous-critère, seule l’offre de base, « le scénario n° 1 », avait été analysée, à l’exclusion donc de ses propositions sur « l’option » relative à la dépénalisation. Elle demande donc, en sa qualité du mandataire du groupement formé avec la société « Les Fils de Madame Géraud », l’annulation de cette décision, ensemble celle de la ville de Saint-Maur-des-Fossés d’attribuer le contrat à la société Effia Stiationnement, et d’enjoindre à la commune d’annuler la procédure de mise en concurrence en litige.
  5. La société Urbis Park reproche à la commune de Saint-Maur-des-Fossés de ne pas avoir procédé à l’analyse de l’ensemble de son offre soit donc avec « l’option» pourtant exigée dans le règlement de la consultation et relative à la mise en œuvre de la dépénalisation des amendes de stationnement, alors même qu’il était probable, compte tenu de la durée de la délégation de service public, qu’elle serait mise en œuvre pendant une partie non négligeable du contrat et donc de n’avoir jugé les offres des candidats que très partiellement. La commune soutient pour sa part qu’elle n’avait pris aucune décision quant à la mise en œuvre de cette dépénalisation laquelle, bien que prévue pour le 1er janvier 2018, avait déjà été reportée à deux reprises et rien ne permettait de dire qu’elle ne le serait pas à nouveau en raison de ses grandes difficultés d’application. Elle soutient également que, en tout état de cause, outre que la société Urbis Park a fait preuve de négligence en ne recherchant pas d’explication sur les incohérences alléguées dans le règlement de la consultation, qui ne sont que des erreurs de plume, l’écart de points entre les deux entreprises était tel que, quand bien même les options auraient été aussi notées, l’offre de la société Effia Stationnement aurait toujours été meilleure, et qu’au surplus la candidature de la société Urbis Park était irrégulière car elle ne respectait pas les exigences formulées dans les documents de la consultation puisqu’elle avait inscrit dans son projet de contrat la mise à disposition d’un nombre minimal d’agents chargés du contrôle alors qu’il était spécifié dans le règlement de la consultation que la Ville ne souhaitait pas s’engager sur un niveau de contrôle de stationnement sur voirie, car elle avait inscrit dans ce même projet une disposition pouvant laisser accroire qu’elle solliciterait une indemnisation en cas de non respect du compte d’exploitation prévisionnel, car elle proposait des recettes d’exploitation irréalistes, largement supérieures aux recettes actuelles comme aux propositions des autres sociétés candidates, car enfin, elle avait inscrit dans le projet de contrat une clause de révision du contrat assimilable à un droit à indemnisation permanente.
  6. Aux termes de l’article L. 1411-1 du code général des collectivités territoriales, dans sa version applicable, la procédure de passation ayant été engagée avant le 1er avril 2016 : « Une délégation de service public est un contrat par lequel une personne morale de droit public confie la gestion d’un service public dont elle a la responsabilité à un délégataire public ou privé, dont la rémunération est substantiellement liée aux résultats de l’exploitation du service. Le délégataire peut être chargé de construire des ouvrages ou d’acquérir des biens nécessaires au service. Les délégations de service public des personnes morales de droit public relevant du présent code sont soumises par l’autorité délégante à une procédure de publicité permettant la présentation de plusieurs offres concurrentes, dans des conditions prévues par un décret en Conseil d’Etat. (…) La collectivité adresse à chacun des candidats un document définissant les caractéristiques quantitatives et qualitatives des prestations ainsi que, s’il y a lieu, les conditions de tarification du service rendu à l’usager. Les offres ainsi présentées sont librement négociées par l’autorité responsable de la personne publique délégante qui, au terme de ces négociations, choisit le délégataire» ; aux termes de l’article R. 1411-1 du même code : « L’autorité responsable de la personne publique délégante doit satisfaire à l’exigence de publicité prévue à l’article 1411-1 par une insertion dans une publication habilitée à recevoir des annonces légales et dans une publication spécialisée correspondant au secteur économique concerné. Cette insertion précise la date limite de présentation des offres de candidature, qui doit être fixée un mois au moins après la date de la dernière publication. Elle précise également les modalités de présentation de ces offres et mentionne les caractéristiques essentielles de la convention envisagée, notamment son objet et sa nature ».
  7. Les délégations de service public sont soumises aux principes de liberté d’accès, d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, qui sont des principes généraux du droit de la commande publique. Pour assurer le respect de ces principes, la personne publique doit apporter aux candidats à l’attribution d’une délégation de service public, avant le dépôt de leurs offres, une information sur les critères de sélection des offres. La personne publique, qui négocie librement les offres avant de choisir, au terme de cette négociation, le délégataire, n’est pas tenue d’informer les candidats des modalités de mise en œuvre de ces critères. Si, toutefois, alors même qu’elle n’y est pas tenue, elle rend publiques les modalités de mise en œuvre des critères de sélection des offres et si elle entend ensuite les modifier, elle ne peut légalement le faire qu’en informant les candidats de cette modification en temps utile avant le dépôt des candidatures, afin que celles-ci puissent être utilement présentées, dans le cas où l’information initiale sur les modalités de mise en œuvre des critères a elle-même été donnée avant le dépôt des candidatures, ou en temps utile avant le dépôt des offres, pour que celles-ci puissent être utilement présentées, dans le cas où l’information initiale n’a été donnée qu’après le dépôt des candidatures. Par suite, lorsque la personne publique a informé les candidats des modalités de mise en œuvre des critères de sélection des offres, elle ne peut en tout état de cause les modifier après le dépôt des offres sans méconnaître le principe de transparence des procédures.
  8. Il ressort des pièces du dossier que le règlement de la consultation, dans sa dernière version diffusée aux entreprises candidates, précisait dans son point 6.2 que leur offre finale, devait être établie sur la base d’un scénario appelé « scénario n° 1», sans subvention versée par la Ville et devait aussi intégrer l’éventuelle mise à la charge du futur délégataire de « l’option » relative à la dépénalisation des amendes de stationnement. Ce même règlement ne distinguait toutefois pas, dans son point 8.2 relatif aux critères de sélection des offres, cette « option » de l’offre principale. Si l’annexe 2 du règlement de la consultation précisait bien que les candidats devaient remettre deux dossiers, un pour le « scénario n° 1 » et un pour « l’option », différents, s’agissant des aspects financiers, uniquement en tant que le dossier du scénario n° 1 devait comporter un sous-dossier B 32 « relatif aux montant et aux modalités de calcul de la participation concernant le stationnement sur voirie versée par la Ville au délégataire », inexistant dans le dossier de « l’option », aucune disposition de ce règlement n’indiquait que ce dernier ne ferait pas l’objet d’une évaluation en particulier sur ses aspects financiers, de sorte que les candidats pouvaient à bon droit estimer que leur offre serait évaluée dans son ensemble, c’est-à-dire y compris « l’option » sur la dépénalisation, laquelle, compte tenu de la durée prévue de la délégation de service public, soit quinze années, devait nécessairement l’inclure pendant une partie non négligeable de son exécution, quand bien même sa date de mise en œuvre effective ne revêtait pas à l’époque un caractère de certitude absolue, pouvant toujours faire l’objet d’un troisième report par voie législative et le conseil municipal n’ayant pas encore pris de décision à son sujet.
  9. Dans ces conditions, la société Urbis Park, à qui il ne peut être reproché une quelconque négligence en la matière puisqu’elle ne pouvait supposer a priori que le règlement de la consultation comportait des incohérences, celles-ci n’étant apparues qu’à la lecture de la note du 25 novembre 2016 rejetant son offre, est fondée à soutenir qu’en n’appréciant pas les offres qui lui étaient soumises dans leur ensemble, au besoin en fixant une pondération sur la notation de l’option, et en n’évaluant pas notamment la partie financière de cette « option», qui aboutissait au surplus à modifier de manière substantielle l’exécution du contrat de délégation de service public en cause sans procéder à une mise en concurrence de ses implications financières, la Ville de Saint-Maur-des-Fossés a manqué à ses obligations d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures et a lésé ses intérêts, sans que puisse lui être opposé le très grand écart de points de son offre avec celle de la société attributaire, puisque celle-ci n’a au final été analysée que très partiellement et qu’en tout état de cause cet écart résulte presque exclusivement du critère de la valeur financière de l’offre.
  10. Si la Ville de Saint-Maur-des-Fossés soutient qu’en tout état de cause, l’offre de la société Urbis Park était irrégulière et non conforme en ce que le projet de contrat transmis comportait des dispositions expressément écartées par le règlement de la consultation, en particulier s’agissant des obligations que ce projet aurait mis à la charge de le Ville, il ressort des pièces du dossier que le projet de contrat transmis par les sociétés candidates devait encore faire l’objet de négociations en application de l’article 8.3 du règlement de la consultation entre le Maire et le candidat désigné de sorte que les irrégularités alléguées figurant dans le projet de contrat transmis par la société Urbis Park n’avaient aucun caractère définitif, le nombre d’agents de contrôle à affecter à la surveillance du stationnement en voirie n’étant également même pas renseigné, qu’au surplus ces irrégularités n’ont pas été relevées dans la lette du 25 novembre 2016 alors qu’elles l’avaient été dans la lettre du 4 juillet 2016, et que les recettes proposées par la société requérante dans le cadre de « l’option » de dépénalisation avaient été établies à la suite d’une évaluation de la progression possible et non excessive des recettes en matière de stationnement, la ville de Saint-Maur-des-Fossés se trouvant très en deçà de la moyenne nationale en matière de recettes de stationnement. La commune de Saint-Maur-des-Fossés n’est dès lors pas fondée à soutenir que la proposition de la société Urbis Park aurait été irrégulière et non conforme.
  11. Le juge des référés précontractuels, dès lors qu’il est régulièrement saisi, dispose de l’intégralité des pouvoirs qui lui sont conférés par les dispositions précitées de l’article L. 551-1 du code de justice administrative pour mettre fin, s’il en constate l’existence, aux manquements de l’administration à ses obligations de publicité et de mise en concurrence. Ainsi, eu égard à son office, il lui appartient de prendre toutes mesures nécessaires pour assurer le respect de ces obligations, lorsqu’il constate que, par suite de la décision qu’il prend, celles-ci ne peuvent être satisfaites par l’autorité responsable de la personne publique délégante, en cas de poursuite de la procédure de passation du contrat.
  12. Il résulte du point 9 ci-dessus que la Ville de Saint-Maur-des-Fossés a manqué à ses obligations d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures en n’analysant pas les offres des différents candidats dans leur intégralité, alors même qu’elle leur avait demandé de produire un dossier prévoyant la mise en œuvre de « l’option» de la dépénalisation. Une telle analyse ne peut toutefois avoir lieu sans que la Ville ait déterminé à l’avance les critères de prise en compte de l’offre correspondant au « scénario n° 1 » et ceux de « l’option » relative à la dépénalisation, et l’éventuelle pondération entre ces deux scénario et option. Par ailleurs, ces derniers, tout en correspondant à deux méthodes d’exécution très différentes d’une même délégation de service public, faisaient partie d’un seul ensemble, ce qui pouvait influencer la construction des offres des entreprises candidates.
  13. Il résulte donc de ce qui précède que la société Urbis Park est fondée à demander l’annulation de la décision du 25 novembre 2016 par laquelle la commune de Saint-Maur-des-Fossés l’a informée du rejet de son offre présentée dans le cadre de la délégation de service public pour l’exploitation du stationnement payant sur voirie, en ouvrages et en enclos, ensemble la décision de la commune attribuant la délégation en cause à la société Effia Stationnement, et par voie de conséquence de l’ensemble de la procédure de passation de cette délégation de service public, sans qu’il soit besoin à la commune de communiquer le rapport d’analyse des offres.

Sur les conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

  1. Aux termes de l’article L. 761-1 du code de justice administrative : « Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à cette condamnation. ».
  2. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Urbis Park, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme demandée à ce titre par la ville de Saint-Maur-des-Fossés et la société Effia Stationnement. Il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l’espèce, de faire application de ces dispositions et de condamner la ville de Saint-Maur-des-Fossés à verser à la société Urbis Park une somme de 1 500 euros au titre des mêmes dispositions.

O R D O N N E

Article 1er : La procédure de passation du contrat de délégation de service public publiée le 10 mars 2016 par la ville de Saint-Maur-des-Fossés pour la gestion des parcs de stationnement et le stationnement en surface est annulée.
Article 2 : La commune de Saint-Maur-des-Fossés versera à la société Urbis Park une somme de 1 500 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de la société Urbis Park et la demande de la société Effia Stationnement au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Urbis Park, à la société Effia Stationnement et à la commune de Saint-Maur-des-Fossés.


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