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Publié le 05 Fév 2016

Retards de chantiers et responsabilité du maître de l’ouvrage : retour sur la jurisprudence

Retards de chantiers et responsabilité du maître de l'ouvrage : retour sur la jurisprudenceCE 6 janvier 2016, Sté Eiffage construction Alsace Franche Comté. req.n°383245

Dans cette affaire, le Conseil d’Etat confirme la règle selon laquelle le maître de l’ouvrage ne peut pas voir sa responsabilité engagée pour des difficultés d’exécution du chantier qui ne lui sont pas directement imputables.

 

Règle n°1 : le maître de l’ouvrage ne peut pas voir sa responsabilité s’il n’est pas directement à l’origine des difficultés d’exécution du chantier

La règle est désormais bien établie : les difficultés rencontrées dans l’exécution d’un marché à forfait ne peuvent ouvrir droit à indemnité au profit de l’entreprise titulaire du marché que dans la mesure où celle-ci justifie, soit que ces difficultés trouvent leur origine dans des sujétions imprévues ayant eu pour effet de bouleverser l’économie du contrat, soit qu’elles sont imputables à une faute du maître de l’ouvrage.
Dans cette affaire, le Conseil d’Etat raisonne en deux temps : tout d’abord, il constate que les difficultés rencontrées dans l’exécution du marché trouvent leur origine dans les fautes de la maîtrise d’œuvre et de l’entreprise chargée de la réalisation de la plateforme sur laquelle devait être édifié un nouveau sas d’urgence pour en tirer immédiatement la conséquence que dans ces conditions le maître de l’ouvrage ne pouvait être tenu pour responsable des préjudices dont les sociétés requérantes lui demandaient réparation du fait de l’allongement de la durée d’exécution du marché de travaux dès lors que ces préjudices résultent de manquements d’un autre entrepreneur ou de la maîtrise d’œuvre.
Il s’agit de l’application classique de la solution déjà dégagée par le Conseil d’Etat dans son arrêt du 5 juin 2013, Région de Haute Normandie, req.n°352917 (Considérant de principe : « Les difficultés rencontrées dans l’exécution d’un marché à forfait ne peuvent ouvrir droit à indemnité au profit de l’entreprise titulaire du marché que dans la mesure celle-ci justifie soit que ces difficultés ont eu pour effet de bouleverser l’économie du contrat, soit qu’elles sont imputables à une faute de la personne publique, mais pas du seul fait de fautes commises par d’autres intervenants »).
En pratique, il est désormais nécessaire de démontrer l’existence d’une faute particulière à la charge du maître de l’ouvrage, par exemple en raison de retard pris à prendre des décisions en cours de chantier ou des modifications portées à l’ouvrage en cours de chantier (CAA Bordeaux 1er juin 2010, Sté CARI, req.n°09BX02069).
En l’absence de faute de la part du maître d’ouvrage, l’entreprise subissant des retards dans l’exécution d’un chantier devra rechercher la responsabilité quasi délictuelle des autres intervenants fautifs non pas devant le Tribunal administratif mais devant le Tribunal de commerce (CE 2 août 2011, Région Centre, req.n°330982).
Ce faisant, le Conseil d’Etat opère un transfert du risque d’une défaillance de l’entreprise ou du membre de la maîtrise d’œuvre à l’origine des retards sur l’entreprise réclamante et non plus sur le maître d’ouvrage.

Règle n°2 : La possibilité d’engager la responsabilité de la maîtrise d’ouvrage dans certains cas

Dans un arrêt du 12 novembre 2015 le Conseil d’Etat admet que dans certains cas, la responsabilité du maître de l’ouvrage puisse être malgré tout engagée. Il s’agit du cas où l’entreprise réclamante pourra démontrer que le maitre de l’ouvrage a commis une faute dans l’appréciation des capacités de l’entreprise défaillante lors de l’attribution du marché et que cette faute est à l’origine des difficultés d’exécution du chantier :”considérant, en dernier lieu, que la cour administrative d’appel a, par une appréciation souveraine exempte de toute dénaturation, écarté le moyen tiré de ce que le maître de l’ouvrage avait commis une erreur manifeste d’appréciation des capacités de l’attributaire du lot de gros œuvre à conduire les travaux; que, par suite, la cour n’a pas inexactement qualifié les faits en jugeant que la commune n’avait pas commis de faute en raison du choix de l’attributaire de ce marché”. Il s’agit donc d’un élargissement des possibilités offertes à l’entreprise réclamante.
Le Conseil d’Etat entend ici sanctionner les acheteurs publics qui n’auront pas véritablement contrôler les capacités techniques, financières et professionnelles des candidats au stade de l’attribution des marchés. Le contrôle du juge reste néanmoins restreint à l’erreur manifeste d’appréciation, contrôle qui sera sans doute exercé rigoureusement.
Cette ouverte du Conseil d’Etat est la bienvenue et risque d’avoir un bel avenir avec l’entrée en vigueur, depuis le 26 janvier 206, du règlement d’exécution 2016/7 de la Commission établissant le DUME pris en application de l’article 59 de la Directive 2014/24/UE et qui consiste dans un système de déclaration sur l’honneur des candidats qui affirment posséder toutes les capacités financières, techniques et professionnelles requises pour exécuter les prestations du marché. Il est en effet à craindre que le contrôle des capacités des candidats par l’acheteur public qui interviendra après la sélection des offres risque d’être encore plus léger qu’il ne l’est aujourd’hui…..

Conseil d’État
N° 383245
7ème SSJS
Mme Marie-Anne Lévêque, rapporteur
M. Gilles Pellissier, rapporteur public
SCP NICOLAY, DE LANOUVELLE, HANNOTIN ; SCP BOULLOCHE ; SCP WAQUET, FARGE, HAZAN, avocats
Lecture du mercredi 6 janvier 2016
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :
La société Eiffage Construction Alsace Franche-Comté et la société Campenon Bernard Franche-Comté ont demandé au tribunal administratif de Besançon de condamner le centre hospitalier de Belfort Montbéliard à leur verser les sommes de 29 172,64 euros TTC au titre du solde du lot de gros oeuvre du marché de construction du pôle gynéco-chirurgical, de 391 494,26 euros au titre du préjudice lié aux retards dans la mise à disposition de la plateforme du bâtiment d’hébergement et dans la fourniture des plans de béton armé et de 214 319,90 euros au titre des surcoûts liés à l’allongement des délais d’exécution du marché. Par un jugement n° 0900391 du 15 mars 2012, le tribunal administratif de Besançon a rejeté leurs demandes.
Par un arrêt n° 12NC00891 du 2 juin 2014, à la demande des sociétés Eiffage Construction Alsace Franche-Comté et Campenon Bernard Franche-Comté, la cour administrative d’appel de Nancy a annulé le jugement du tribunal administratif de Besançon en tant qu’il avait statué sur la demande de paiement de 214 319,90 euros et rejeté cette demande.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 29 juillet et 29 octobre 2014 et le 2 décembre 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la société Eiffage Construction Alsace Franche-Comté et la société Campenon Bernard Franche-Comté demandent au Conseil d’Etat :

  1. d’annuler l’arrêt de la cour administrative d’appel de Nancy ;
  2. réglant l’affaire au fond, de faire droit à leurs conclusions de première instance et d’appel ;
  3. de mettre à la charge du centre hospitalier de Belfort Montbéliard le versement de la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

  • le code des marchés publics ;
  • le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

  • le rapport de Mme Marie-Anne Lévêque, conseiller d’Etat,
  • les conclusions de M. Gilles Pellissier, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, avocat de la société Eiffage Construction Alsace Franche-Comté et de la société Campenon Bernard Franche-Comté, à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de l’ hôpital Nord Franche-Comté et à la SCP Boulloche, avocat de la société d’architecture Groupe 6 ;

1. Considérant, en premier lieu, qu’il ressort des énonciations de l’arrêt attaqué, non contestées sur ce point par le pourvoi, que les difficultés rencontrées dans l’exécution du marché trouvent leur origine dans les fautes de la maîtrise d’oeuvre et de l’entreprise chargée de la réalisation de la plateforme sur laquelle devait être édifié un nouveau sas d’urgence ; qu’en jugeant que ces difficultés n’étaient pas imputables à une faute du maître d’ouvrage, la cour n’a pas inexactement qualifié les faits de l’espèce ;

2. Considérant, en deuxième lieu, que les difficultés rencontrées dans l’exécution d’un marché à forfait ne peuvent ouvrir droit à indemnité au profit de l’entreprise titulaire du marché que dans la mesure où celle-ci justifie soit que ces difficultés trouvent leur origine dans des sujétions imprévues ayant eu pour effet de bouleverser l’économie du contrat soit qu’elles sont imputables à une faute de la personne publique commise notamment dans l’exercice de ses pouvoirs de contrôle et de direction du marché, dans l’estimation de ses besoins, dans la conception même du marché ou dans sa mise en oeuvre, en particulier dans le cas où plusieurs cocontractants participent à la réalisation de travaux publics ; qu’il suit de là qu’en jugeant que l’hôpital Nord Franche-Comté, maître d’ouvrage, ne pouvait être tenu pour responsable des préjudices dont les sociétés requérantes lui demandaient réparation du fait de l’allongement de la durée d’exécution du marché de travaux résultant de manquements à leurs obligations d’un autre entrepreneur ou de la maîtrise d’oeuvre, la cour administrative d’appel de Nancy n’a pas commis d’erreur de droit ;

3. Considérant, en troisième lieu, que la cour a rejeté les conclusions des sociétés requérantes tendant à la condamnation de l’hôpital à leur payer la somme de 29 712,64 euros correspondant aux pénalités de retard qui leur avaient été infligées, au motif que les sociétés requérantes ne contestaient pas le bien fondé de ces pénalités ; qu’en statuant ainsi alors que le litige portait sur le règlement du marché, et à ce titre sur les pénalités infligées pour des retards dont les sociétés requérantes estimaient au demeurant devoir être indemnisées, la cour administrative d’appel de Nancy a méconnu la portée des écritures dont elle était saisie ; que les requérantes sont par suite fondées à demander l’annulation de l’arrêt attaqué dans cette mesure ;

4. Considérant qu’il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire droit aux demandes présentées par les parties en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D E C I D E :
Article 1er : L’arrêt du 2 juin 2014 de la cour administrative d’appel de Nancy est annulé en tant qu’il s’est prononcé sur les pénalités de retard mises à la charge des sociétés Eiffage Construction Alsace Franche-Comté et Campenon Bernard Franche-Comté.
Article 2 : L’affaire est renvoyée à la cour administrative d’appel de Nancy dans la mesure de la cassation prononcée.
Article 3 : Le surplus des conclusions du pourvoi et les conclusions des parties présentées au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées. Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Eiffage Construction Alsace Franche-Comté, à la société Campenon Bernard Franche-Comté, à la société d’architecture Groupe 6, à la société Ingerop Conseil et Ingénierie et à l’hôpital Nord Franche-Comté.


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