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Publié le 06 Sep 2015

La modification unilatérale du régime des pénalités après le choix du titulaire entraîne la nullité du marché

La modification unilatérale du régime des pénalités après le choix du titulaire entraîne la nullité du marchéCE 1er juillet 2015, OPH Loire Atlantique, req.n°384209

La modification unilatérale du régime des pénalités par le pouvoir adjudicateur après le choix du titulaire du marché touche un élément substantiel de l’offre.

Eu égard à ses effets sur l’équilibre du contrat, une telle modification constitue un vice d’une particulière gravité de nature à vicier le consentement du cocontractant et justifie la nullité du contrat.

Règle à retenir :


Un pouvoir adjudicateur ne peut pas modifier un élément substantiel de l’offre après le choix du titulaire du contrat à peine d’irrégularité de celui-ci.

En l’espèce, par un marché signé en octobre 2008, après une procédure de dialogue compétitif, la société Aareon France s’était engagée à fournir à l’Office public de l’habitat de Loire-Atlantique un progiciel de gestion du parc locatif, à l’assister dans l’utilisation de ce progiciel et à en assurer la maintenance pendant cinq ans. Le retard pris au regard du calendrier d’exécution et les dysfonctionnements constatés avait ensuite conduit l’OPH à résilier le contrat aux torts exclusifs de son cocontractant et à établir en conséquence un décompte de liquidation du marché dont le solde a été porté au débit de la société du fait des lourdes pénalités de retard. Le Conseil d’Etat rejette l’application des pénalités au motif que le mode de calcul des pénalités de retard et les modalités de leur déclenchement ont été modifiés unilatéralement postérieurement à l’attribution du marché au titulaire sans que celui-ci ne puisse s’y opposer.

Observations :

Attention : un acheteur public ne peut pas modifier un élément substantiel de l’offre lors de la mise au point du contrat ou après a signature et la notification de celui-ci sans le consentement express de son cocontractant. Même dans ce dernier cas, la modification est prohibée si elle porte sur un élément substantiel de l’offre qui si il avait était connu par les autres candidats aurait pu modifier le jeu de la mise en concurrence.

Conseil d’Etat
Lecture du mercredi 1 juillet 2015
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Aareon France a demandé au tribunal administratif de Nantes de condamner l’Office public de l’habitat de Loire-Atlantique à lui verser la somme de 367 550,60 euros au titre des conséquences financières de la résiliation du marché relatif à l’acquisition du progiciel Prem’Habitat ainsi que la somme de 879 993,37 euros au titre du préjudice moral et commercial et de l’atteinte portée à son image.

L’Office public de l’habitat de Loire-Atlantique a pour sa part demandé au tribunal administratif de Nantes de condamner la société Aareon France à lui verser une somme de 6 458 546,29 euros au titre du solde du marché litigieux.

Par un jugement n°s 1006438, 1103622, 1206242, 1206375 du 19 juillet 2013, le tribunal administratif de Nantes a, en premier lieu, donné acte à la société Aareon France du désistement d’instance de ses conclusions tendant à l’annulation de la décision en date du 10 novembre 2010 par laquelle l’Office public de l’habitat de Loire-Atlantique a résilié le marché relatif à l’acquisition du progiciel de gestion intégré Prem’Habitat, en deuxième lieu, condamné la société Aareon France à verser à l’Office public de l’habitat de Loire-Atlantique une somme de 3 402 950,69 euros au titre du solde du marché litigieux, en troisième lieu, mis les frais d’expertise, à parts égales, à la charge de la société Aareon et de l’Office public de l’habitat de Loire Atlantique, en dernier lieu, rejeté le surplus des conclusions de la société Aareon France et de l’Office public de l’habitat de Loire-Atlantique.

La société Aareon France a relevé appel de ce jugement.

Par un arrêt n°s 13NT02676, 13NT02711 du 4 juillet 2014, la cour administrative d’appel de Nantes a, en premier lieu, annulé les articles 2 à 8 du jugement du tribunal administratif de Nantes, en deuxième lieu, donné acte à l’Office public de l’habitat de Loire Atlantique du désistement de ses conclusions tendant au paiement direct par la société Axa France Iard des condamnations prononcées à l’encontre de la société Aareon France, en troisième lieu, rejeté comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître les conclusions de la société Aareon France tendant à ce que la société Axa France Iard soit condamnée à la garantir des condamnations prononcées à son encontre, en quatrième lieu, prononcé un non-lieu à statuer sur les conclusions de la société Aareon France dirigées contre le décompte de liquidation du marché, en cinquième lieu, rejeté les conclusions aux fins de paiement et d’indemnisation présentées par la société Aareon France à l’encontre de l’Office Habitat 44 ainsi que les conclusions présentées par ce dernier à l’encontre de la société Aareon France et, en sixième lieu, mis les frais d’expertise, à parts égales, à la charge de la société Aareon France et de l’Office public de l’habitat de Loire-Atlantique.

Procédure devant le Conseil d’Etat :

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 4 septembre, 4 décembre 2014 et 8 avril 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, l’Office public de l’habitat de Loire-Atlantique demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler cet arrêt ;
2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à ses conclusions d’appel ;
3°) de mettre à la charge de la société Aareon France le versement de la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– le code des marchés publics ;
– le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de Mme Charline Nicolas, auditeur,

– les conclusions de M. Bertrand Dacosta, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de l’Office public de l’habitat de Loire-Atlantique, et à la SCP de Nervo, Poupet, avocat de la société Aareon France ;

1. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges fond que, par un marché signé en octobre 2008, après une procédure de dialogue compétitif, la société Aareon France s’est engagée à fournir à l’Office public de l’habitat de Loire-Atlantique (OPH) un progiciel de gestion du parc locatif, dénommé “ Prem’Habitat “, à l’assister dans l’utilisation de ce progiciel et à en assurer la maintenance pendant cinq ans ; que le retard pris au regard du calendrier d’exécution annexé à l’acte d’engagement et les dysfonctionnements constatés ont conduit l’office à résilier le contrat aux torts exclusifs de son cocontractant et à établir en conséquence un décompte de liquidation du marché dont le solde a été porté au débit de la société ; que, statuant sur les demandes des parties à ce contrat, le tribunal administratif de Nantes a, par un jugement du 19 juillet 2013, condamné la société Aareon France à verser à l’OPH la somme de 3 402 950,69 euros au titre du solde du marché ; que l’office demande l’annulation de l’arrêt du 4 juillet 2014 de la cour administrative d’appel de Nantes en tant qu’il annule le jugement du tribunal administratif de Nantes sur ce point et rejette ses demandes indemnitaires ;

2. Considérant, d’une part, que lorsque les parties soumettent au juge un litige relatif à l’exécution du contrat qui les lie, il incombe en principe à celui-ci, eu égard à l’exigence de loyauté des relations contractuelles, de faire application du contrat ; que, toutefois, dans le cas seulement où il constate une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d’office par lui, tenant au caractère illicite du contrat ou à un vice d’une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, il doit écarter le contrat et ne peut régler le litige sur le terrain contractuel ;

3. Considérant que, pour rejeter les conclusions de l’Office public de l’habitat de Loire-Atlantique, la cour administrative d’appel de Nantes a d’abord relevé que l’article 9 du contrat relatif aux pénalités de retard avait été modifié, après le choix du titulaire du marché, l’envoi par celui-ci du contrat et le début d’exécution des prestations, en juillet 2008 ; qu’elle a ensuite estimé qu’eu égard tant à l’objet de cette modification, qui consistait en un changement du mode de calcul des pénalités de retard et des modalités de déclenchement de leur application, qu’à ses conséquences financières, qu’elle a regardées comme graves et inéluctables, un élément substantiel de l’offre de la société, au sens des dispositions du VIII de l’article 67 du code des marchés publics, avait été modifié ; qu’ayant estimé que la société Aareon France avait été contrainte d’accepter cette modification, elle en a déduit que le consentement de la société avait été vicié, que le contrat devait être écarté et que le litige ne pouvait être réglé sur le terrain contractuel ; qu’ayant relevé que les conclusions indemnitaires de l’OPH se fondaient exclusivement sur les stipulations du contrat, elles les a rejetées ;

4. Considérant que c’est par une appréciation souveraine exempte de dénaturation qu’à l’appui de l’affirmation selon laquelle l’application de fortes pénalités de retard sur le fondement de l’article 9 modifié était inéluctable, la cour administrative d’appel de Nantes a relevé que la procédure de dialogue compétitif avait été lancée tardivement par l’OPH, que celui-ci avait imposé à son cocontractant des délais très courts pour la fourniture des prestations et que la mise en place d’un progiciel du type de celui qui était en cause s’accompagne de dysfonctionnements pendant les six premiers mois, qui ne sont pas anormaux ; que la cour n’a pas davantage dénaturé les pièces du dossier ni les stipulations du contrat qui lui étaient soumis et n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant que, eu égard à ses effets sur l’équilibre économique du contrat, la modification du régime des pénalités de retard touchait aux éléments substantiels de l’offre de la société, au sens des dispositions du VIII de l’article 67 du code des marchés publics ; que c’est sans erreur de droit qu’elle a jugé que le consentement de la société à cette modification et, par suite, à l’ensemble du contrat, avait été vicié et que le litige ne pouvait être réglé sur le terrain contractuel ;

5. Considérant, par ailleurs, que la cour n’a pas méconnu la portée des écritures d’appel de l’OPH et a suffisamment motivé son arrêt en jugeant que l’Office recherchait exclusivement la responsabilité contractuelle de la société Aareon France et ne présentait aucune demande indemnitaire au titre des dépenses utiles ou de l’indemnisation d’une faute extra-contractuelle de la société ;

6. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que le pourvoi de l’Office public de l’habitat de Loire-Atlantique doit être rejeté, y compris ses conclusions présentées au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ; qu’il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Office une somme de 3 000 euros à verser à la société Aareon France au titre des mêmes dispositions ;

D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de l’Office public de l’habitat de Loire-Atlantique est rejeté.
Article 2 : L’Office public de l’habitat de Loire-Atlantique versera une somme de 3 000 euros à la société Aareon France au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à l’Office public de l’habitat de Loire-Atlantique et à la société Aareon France.


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