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Publié le 22 Mar 2015

Marché à prix forfaitaire : validité d’une clause limitative de responsabilité du maître d’ouvrage en cas d’erreurs entachant le dossier de consultation des entreprises

Marché à prix forfaitaire : validité d'une clause limitative de responsabilité du maître d'ouvrage en cas d'erreurs entachant le dossier de consultation des entreprisesPar un arrêt en date du 9 janvier 2015, le Conseil d’Etat a jugé que le pouvoir adjudicateur peut prévoir, dans son cahier des charges, qu’il appartient aux candidats de vérifier les informations contenus dans le dossier de consultation des entreprises. Dans cette hypothèse, le titulaire du marché ne plus ensuite, en cours d’exécution, se prévaloir de l’insuffisance des cahiers des charges pour obtenir le paiement de travaux supplémentaires.

Règle n°1 :

Le pouvoir adjudicateur peut prévoir dans les cahiers des charges que l’étude de sol remise n’est qu’indicative et qu’il appartient à l’entreprise candidate d’entreprendre une campagne de reconnaissance complémentaire si elle estime que l’étude de sol, est insuffisante, incomplète voire erronée.

Une telle clause présente un double avantage pour le pouvoir adjudicateur : le premier, de le protéger contre toute action en responsabilité contractuelle, le deuxième, de l’exonérer du paiement des travaux supplémentaires y compris si ces derniers ont été indispensables à l’exécution du contrat dans les règles de l’art.

Règle n°2 :

De la même façon, pouvoir adjudicateur peut prévoir dans les cahiers des charges que le descriptif général des ouvrages communiqué aux candidats ne l’engage pas et qu’il leur appartient de se rendre sur le site « avant de déposer leurs offres » pour vérifier l’état des ouvrages existants et d’estimer exactement, en fonction de cet état, le volume et le coût des travaux.

Une telle clause présente les mêmes avantages pour le pouvoir adjudicateur : l’impossibilité pour le titulaire qu’il puisse utilement se prévaloir d’une éventuelle erreur d’estimation de sa part dans les travaux à réaliser et exonérer le pouvoir adjudicateur du paiement des travaux supplémentaires y compris si ces derniers ont été indispensables à l’exécution du contrat dans les règles de l’art.

Observations côtés pouvoirs adjudicateurs:

Cet arrêt s’inscrit dans la lignée de la jurisprudence du Conseil d’Etat selon laquelle le pouvoir adjudicateur est libre d’insérer dans les cahiers des charges une clause pour minorer voire pour supprimer toute indemnisation en cas de cessation anticipée du contrat (CE 19 décembre 2012, Sté AB Trans, req.n°350341).

Observations côtés candidats:

Si le Conseil d’Etat accepte de faire jouer de telles clauses en cours d’exécution du marché, il reste que celles-ci :

  • D’une part, démontrent une insuffisance du besoin par le pouvoir adjudicateur, ou une imprécision des cahiers des charges faisant obstacle à ce que les candidats remettent une offre en toute connaissance des éléments essentiels de la convention leur permettant d’apprécier les charges du cocontractant et d’élaborer une offre satisfaisante (CE, 13 mars 1998, Transport GALLIERO, req. n°165238) ;
  • D’autre part, devraient conduire le pouvoir adjudicateur, s’il entend imposer aux candidats de vérifier l’étude de sol transmis dans le dossier de consultation des entreprises (et donc à réaliser à leurs frais une nouvelle étude de sol), à indemniser les candidats admis à remettre une offre en application des dispositions de l’article 49 du code des marchés publics.

La mise en œuvre d’une telle clause pourrait donc être critiquée dans le cadre d’une procédure de référé précontractuel par un candidat souhaitant participer à la procédure ou par un candidat évincé.

Les candidats ont tout intérêt à négocier ce type de clauses quand ils y sont autorisés selon la procédure engagée.

Conseil d’État

N° 370576
Inédit au recueil Lebon7ème SSJS
Mme Charline Nicolas, rapporteur
M. Gilles Pellissier, rapporteur public
SCP NICOLAY, DE LANOUVELLE, HANNOTIN ; SCP LYON-CAEN, THIRIEZ, avocat(s)

Lecture du vendredi 9 janvier 2015
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 26 juillet et 28 octobre 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour la commune d’Agde, représentée par son maire ; la commune d’Agde demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler l’arrêt n° 10MA04563 du 27 mai 2013 de la cour administrative d’appel de Marseille en tant qu’il a, à la demande de la société OTV France, d’une part, annulé le jugement n° 0903566 du 22 octobre 2010 du tribunal administratif de Montpellier rejetant la demande de cette société tendant à sa condamnation à verser diverses sommes en exécution d’un marché de travaux d’extension et de mise en conformité de la station d’épuration communale, et, d’autre part, l’a condamnée à verser à cette société la somme de 350 428 euros assortie des intérêts contractuels à compter du 8 mars 2008 ;

2°) réglant l’affaire au fond, de rejeter l’appel de la société OTV France ;

3°) de mettre à la charge de la société OTV France le versement de la somme de 6 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des marchés publics ;
Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de Mme Charline Nicolas, auditeur,
– les conclusions de M. Gilles Pellissier, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, avocat de la commune d’Agde, et à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de la société OTV France ;

1. Considérant que, par l’arrêt attaqué qui statue sur le marché public de travaux par lequel la commune d’Agde a confié à la société OTV France l’extension et la mise en conformité de la station d’épuration communale, la cour administrative d’appel de Marseille a condamné la commune d’Agde à indemniser la société OTV France au titre, d’une part, de travaux supplémentaires de fondation et, d’autre part, de travaux supplémentaires réalisées sur les ouvrages existants de traitement des boues ; que la cour a, par ailleurs, rejeté les conclusions de la société tendant à l’application de la clause contractuelle de révision des prix sur les sommes correspondantes ainsi que les demandes indemnitaires liées à l’allongement de la durée du marché ; que la commune se pourvoit en cassation contre cet arrêt en tant qu’il l’a condamnée à indemniser la société OTV France ; que, par la voie du pourvoi incident, cette société demande l’annulation du même arrêt en tant qu’il ne retient pas l’intégralité des sommes dont elle demandait le paiement ;

2. Considérant, en premier lieu, qu’aux termes de l’article 6 du cahier des clauses techniques particulières du marché en cause, les caractéristiques géotechniques du sol “ sont définies dans le rapport d’étude de sol joint au présent dossier. Les hypothèses concernant le calcul des ouvrages et des soutènements seront précisées par l’entrepreneur à la lumière des éléments contenus dans ce rapport. / Il est rappelé à l’entreprise que tous les renseignements mentionnés dans le rapport sont communiqués à titre indicatif, sans qu’ils puissent être considérés comme de nature à engager le maître d’ouvrage ou le maître d’oeuvre. / L’entreprise pourra entreprendre une campagne de reconnaissance complémentaire à sa charge si elle juge que les éléments mentionnés dans l’étude de sol ne lui permettent pas d’exécuter les ouvrages en toute sécurité “ ; qu’aux termes de l’article 1.8 du cahier des clauses administratives particulières du marché, relatif à l’état et à la connaissance des lieux : “ L’entrepreneur est réputé s’être rendu compte sur le site de l’importance et de la nature des travaux à effectuer et de toutes les difficultés d’exécution liées à la nature du terrain et aux caractéristiques des installations existantes. / Il est rappelé que l’entrepreneur ne saurait se prévaloir postérieurement à la remise de son prix d’une connaissance insuffisante des site, lieux et terrains d’implantation des ouvrages, des installations existantes à rénover et de tous les éléments locaux susceptibles d’interférer dans l’exécution des travaux, tels que la nature des sols (…). / Les renseignements donnés dans les pièces qui lui sont fournies ne constituent que des éléments d’informations qu’il appartiendra à l’entrepreneur de compléter sous sa responsabilité. “ ; qu’aux termes de l’article 7.3 du même cahier : “ Une étude géotechnique est fournie en pièce annexe, toutefois, pendant la phase d’étude, et à ses frais, l’entrepreneur peut proposer des essais de sol supplémentaires qu’il jugerait nécessaires au droit des ouvrages projetés. Il devra en interpréter les résultats pour justifier les fondations proposées. Toute intervention devra recevoir l’accord préalable du maître d’oeuvre. “ ;

3. Considérant qu’en jugeant que des insuffisances et erreurs figurant dans l’étude de sol jointe par la commune d’Agde aux documents de la consultation étaient constitutives d’une faute engageant la responsabilité contractuelle de cette dernière, alors qu’il résulte clairement des stipulations contractuelles mentionnées ci-dessus que cette étude de sol n’avait qu’une valeur indicative et ne pouvait engager la responsabilité de la commune, la cour a dénaturé les pièces du dossier ;

4. Considérant, en second lieu, qu’aux termes de l’article 8 du cahier des clauses techniques particulières du marché en cause, relatif aux ouvrages existants : “ Le descriptif général des ouvrages est donné ci-après. Toutefois, l’entreprise devra se rendre sur le site afin de vérifier l’ensemble des informations données dans le présent programme pour pouvoir déterminer au plus juste les travaux de modification des ouvrages et matériels annexes, voire leur démolition et leur enlèvement. (…) / L’entreprise ne pourrait en aucun cas se prévaloir d’une connaissance imparfaite du site pour l’élaboration de son projet “ ;

5. Considérant qu’en jugeant que les stipulations citées ci-dessus ne faisaient pas obstacle à l’indemnisation des travaux supplémentaires sur les ouvrages existants de traitement des boues dès lors que ces travaux étaient indispensables à l’exécution du contrat dans les règles de l’art, alors que, faisant obligation aux candidats de vérifier, avant de déposer leurs offres, les informations fournies par la commune dans le dossier de consultation sur l’état des ouvrages existants et d’estimer en fonction de cet état le coût des travaux à accomplir, elles faisaient obstacle à ce que la société puisse se prévaloir de son erreur d’estimation, la cour a également dénaturé les pièces du dossier ;

6. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que la commune d’Agde est fondée à demander l’annulation de l’arrêt attaqué en tant qu’il la condamne à indemniser la société OTV France et qu’il statue sur le montant de cette indemnisation ; que, par suite, le pourvoi incident formé par la société OTV France, qui tend à l’annulation de l’arrêt en tant qu’il n’a pas condamné la commune à verser une somme plus élevée, ne peut qu’être rejeté ;

7. Considérant qu’il y lieu, dans les circonstances de l’espèce, de régler l’affaire au fond dans la mesure de la cassation prononcée, en application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative

8. Considérant que contrairement à ce que prétend la société requérante, le tribunal administratif de Montpellier s’est prononcé sur le moyen tiré de la faute contractuelle de la commune résultant de la fourniture d’une étude de sol erronée ; que son jugement n’est dès lors pas irrégulier ;

9. Considérant en premier lieu, que, ainsi qu’il a été dit aux points 2 et 3, l’étude de sol jointe au dossier de la consultation par la commune d’Agde n’a été fournie, selon les stipulations même du cahier des clauses administratives particulières (CCAP) et du cahier des clauses techniques particulières (CCTP), qu’à titre indicatif et sans pouvoir engager la responsabilité de la commune ; qu’il n’est, au demeurant, pas établi que cette étude ait été réalisée sur un terrain autre que celui sur lequel les travaux prévus par le marché ont été exécutés ; que la société OTV France n’est dès lors pas fondée à soutenir que les erreurs ou insuffisances sur la nature du sol qui seraient contenues dans cette étude sont constitutives d’une faute de la commune de nature à engager sa responsabilité contractuelle pour l’indemnisation des travaux de fondations supplémentaires qu’elle a dû engager à raison de la nature réelle des sols ; que la société requérante n’est pas davantage fondée à réclamer l’indemnisation de ces travaux supplémentaires de fondations au motif qu’ils auraient été indispensables à l’exécution du contrat dans les règles de l’art, la société étant tenue de supporter elle-même, compte tenu des termes du contrat, les conséquences pécuniaires de l’absence de vérification, par ses soins, des données de l’étude de sol fournies à titre purement indicatif ;

10. Considérant en second lieu que, ainsi qu’il a été dit aux points 4 et 5, les stipulations de l’article 8 du CCTP faisaient obligation au candidat au marché de vérifier l’état des ouvrages existants de traitement des boues et d’estimer exactement, en fonction de cet état, le volume des travaux à accomplir sans qu’il puisse ultérieurement se prévaloir d’une éventuelle erreur d’estimation de sa part ; qu’il n’est pas établi que le fait que certaines parties des ouvrages de traitement des boues aient été immergées rendait impossible la vérification de leur état par la société ; que, par suite, la société n’est pas fondée à réclamer l’indemnisation des travaux supplémentaires sur ces ouvrages au seul motif qu’ils étaient indispensables à l’exécution du contrat dans les règles de l’art ;

11. Considérant qu’il n’est pas davantage établi que la commune d’Agde aurait sciemment dissimulé l’état réel de ces ouvrages et qu’elle aurait ainsi commis une faute en ne révélant pas ces informations ; que par ailleurs, si la société invoque l’enrichissement sans cause de la commune, elle n’assortit pas ce moyen, au demeurant insusceptible d’être présenté par le cocontractant de la personne publique, des précisions permettant d’en apprécier la portée ;

12. Considérant qu’il résulte de ce tout ce qui précède que la société OTV France n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande ;

13. Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la société OTV France la somme de 4 500 euros à verser à la commune d’Agde sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative au titre de la procédure suivie devant le Conseil d’Etat et la cour administrative d’appel ; que ces dispositions font en revanche obstacle à ce qu’une somme soit mise à la charge de la commune d’Agde, qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante ;

D E C I D E :
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Article 1er : L’arrêt du 27 mai 2013 de la cour administrative d’appel de Marseille est annulé en tant qu’il condamne la commune d’Agde à indemniser la société OTV France et statue sur le montant de cette indemnisation.
Article 2 : Le pourvoi incident de la société OTV France et sa requête présentée devant la cour administrative d’appel de Marseille sont rejetés, ainsi que ses conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La société OTV France versera à la commune d’Agde une somme de 4 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la commune d’Agde et à la société OTV France.


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