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Publié le 30 Mar 2015

Nature du contrat conclu entre une société concessionnaire d’autoroute et une personne privée

Nature du contrat conclu entre une société concessionnaire d'autoroute et une personne privéeLes travaux autoroutiers ne relèvent plus de la compétence « par nature » de l’Etat, traditionnellement exécutés « en régie directe ».

Règle n°1:

Mettant fin à sa jurisprudence traditionnelle, société Entreprise Peyrot de 1963, le tribunal des conflits vient de juger que les contrats conclus par une société concessionnaire d’autoroute avec une personne privée et ayant pour objet la construction, l’exploitation ou l’entretien de l’autoroute sont en principe des contrats de droit privé.

Le juge judiciaire est désormais compétent pour connaître des litiges concernant l’exécution de ces contrats.

Ce revirement est commandé par trois motifs d’opportunité :

– Tout d’abord, la solution traditionnelle ne coïncidait plus avec l’évolution factuelle en matière (auto)routière : l’Etat n’exerçant plus qu’une compétence résiduelle et la gestion étant concédée à des sociétés privés dépourvues de tout contrôle étatique ;

– Ensuite, le régime exorbitant du droit public applicable jusqu’à lors ne se justifiait plus compte tenu du régime de droit commun auquel sont soumis les travaux des autres concessionnaires ;

– Enfin, cette solution permet d’ériger un bloc de compétence au profit du juge judiciaire pour l’ensemble des contrats conclus par les sociétés concessionnaires d’autoroute.

Règle n°2 :

Au regard du principe de sécurité juridique, le tribunal des conflits limite toutefois, pour la première fois, la portée de sa décision aux contrats conclus après sa lecture.

Faisant application du principe classique, selon lequel la nature juridique d’un contrat s’apprécie à la date de sa conclusion, le tribunal considère que l’ensemble des contrats conclus avant le 9 mars 2015 demeurent soumis au régime des contrats administratifs et à l’appréciation du juge administratif.

TRIBUNAL DES CONFLITS

N° 3984
Conflit sur renvoi de la cour administrative d’appel de Paris Mme R. c/ Société Autoroutes du Sud de la France
M. Yves Maunand Rapporteur
Mme Nathalie Escaut Commissaire du gouvernement

Séance du 9 février 2015

Lecture du 9 mars 2015
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE TRIBUNAL DES CONFLITS

Vu, enregistrée à son secrétariat le 23 octobre 2014, l’expédition de l’arrêt du 21 octobre 2014 par lequel la cour administrative d’appel de Paris, saisie d’une demande de Mme R. tendant à l’annulation du jugement du tribunal administratif de Paris du 23 janvier 2013 ayant rejeté sa demande formée contre la société des Autoroutes du Sud de la France (ASF) en réparation du préjudice résultant de la résiliation de la convention du 23 avril 1990, a renvoyé au Tribunal, en application de l’article 34 du décret du 26 octobre 1849 modifié, le soin de décider sur la question de la compétence ;

Vu l’arrêt du 17 février 2010 par lequel la Cour de cassation a décliné la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire ; Vu, enregistré le 27 novembre 2014, le mémoire présenté par Mme R. tendant à la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire par le motif que le contrat, conclu entre deux personnes privées, ne porte pas sur un objet nécessaire pour la construction de l’autoroute ou constituant un simple accessoire à sa réalisation et que la société ASF n’a pas agi en qualité de mandataire de l’Etat ;

Vu, enregistré le 14 janvier 2015, le mémoire présenté par la société ASF tendant à la compétence des juridictions de l’ordre administratif et à l’allocation de la somme de 4 000 euros au titre de l’article 75 de la loi du 10 juillet 1991 par le motif que les contrats conclus par un concessionnaire d’autoroute en vue de la réalisation des ouvrages autoroutiers et de leurs accessoires relèvent du juge administratif ;

Vu les pièces desquelles il résulte que la saisine du Tribunal a été notifiée au ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie qui n’a pas produit de mémoire ; Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;

Vu la loi du 24 mai 1872 ;

Vu le décret du 26 octobre 1849 modifié ;

Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Yves Maunand, membre du Tribunal,
– les observations de la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin pour la         société Autoroutes du Sud de la France,
– les observations de Me Bouthors pour Mme R.,
– les conclusions de Mme Nathalie Escaut, commissaire du gouvernement ;

Considérant que, dans le cadre des obligations faites aux sociétés concessionnaires d’autoroutes de consacrer une part du montant des travaux de construction d’une liaison autoroutière à des œuvres d’art, la société ASF a conclu le 23 avril 1990 avec Mme R. une convention lui confiant, moyennant une rémunération forfaitaire, la mission d’établir une série de trois esquisses devant permettre à la société de choisir l’œuvre à créer, puis la réalisation d’une maquette d’une sculpture monumentale que la société envisageait d’implanter sur une aire de service située sur le futur tracé de l’autoroute A 89 ; que la convention stipulait que la sculpture définitive ne pourrait être réalisée que si la société ASF était choisie comme concessionnaire de l’autoroute A 89 et si l’une des trois esquisses présentées était retenue par elle ; que la désignation de la société ASF en qualité de concessionnaire de l’autoroute A 89 a été approuvée par décret du 7 février 1992 ; qu’après l’achèvement des travaux de construction des ouvrages autoroutiers, la société ASF a informé Mme R., par courrier du 7 juin 2005, de sa décision d’abandonner définitivement le projet ; que, par arrêt du 17 février 2010, la Cour de cassation a décliné la compétence du juge judiciaire saisi par Mme R. d’une demande d’indemnisation des préjudices qu’elle aurait subis du fait de la résiliation du contrat qu’elle allègue ; que, par arrêt du 21 octobre 2014, la cour administrative d’appel de Paris, estimant que le litige relevait de la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire, a saisi le Tribunal des conflits en application de l’article 34 du décret du 26 octobre 1849 modifié ;

Considérant qu’une société concessionnaire d’autoroute qui conclut avec une autre personne privée un contrat ayant pour objet la construction, l’exploitation ou l’entretien de l’autoroute ne peut, en l’absence de conditions particulières, être regardée comme ayant agi pour le compte de l’Etat ; que les litiges nés de l’exécution de ce contrat ressortissent à la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire ;

Considérant, toutefois, que la nature juridique d’un contrat s’appréciant à la date à laquelle il a été conclu, ceux qui l’ont été antérieurement par une société concessionnaire d’autoroute sous le régime des contrats administratifs demeurent régis par le droit public et les litiges nés de leur exécution relèvent des juridictions de l’ordre administratif ;

Considérant que Mme R. poursuit la réparation des préjudices qu’elle aurait subis à la suite de la résiliation de la convention qui l’aurait liée à la société ASF et qui aurait porté sur l’implantation sur une aire de repos d’une œuvre monumentale à la réalisation de laquelle la société concessionnaire était tenue de consacrer une part du coût des travaux, et qui présentait un lien direct avec la construction de l’autoroute ; que le litige ressortit dès lors à la compétence de la juridiction administrative ;

Considérant qu’il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la société ASF au titre des dispositions de l’article 75 de la loi du 10 juillet 1991 ;

D E C I D E :
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Article 1er : La juridiction de l’ordre administratif est compétente pour connaître du litige opposant Mme R. à la société des Autoroutes du Sud de la France.
Article 2 : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Paris du 21 octobre 2014 est déclaré nul et non avenu. La cause et les parties sont renvoyées devant cette cour.
Article 3 : Les conclusions de la société ASF présentées sur le fondement de l’article 75 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme R., à la société des Autoroutes du Sud de la France et au garde des sceaux, ministre de la justice.


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